lundi 6 juin 2011

Les tours de Samarante - Norbert Merjagnan

Auteur : Norbert Merjagnan (France) 
Titre : Les tours de Samarante 
Parution : mars 2008 
Editions : Denoël 


Premier roman d’un auteur jusqu’alors inconnu du public, Norbert Merjagnan se voit propulser sur le devant de la scène de manière fulgurante dans la prestigieuse collectionLunes d’encre avec un coup d’essai qui s’apparente à un coup de maître. 



Samarante, cité protégée par six bienveillantes tours majestueuses « dressées pour tenir le ciel au-dessus de la ville » ; entourée de l’aliène composé de paysages désertiques et rocailleux à perte de vue. Le néant dans sa plus pure incarnation. Les regards sont tournés vers l’avenir : le Seuil. Dans 113 années. Date à laquelle aura lieu l’avènement d’une néohumanité biogénique. 


Trois parcours, trois destins vont converger vers cette cité : 

Oshagan, le guerrier trentenaire recueillit par une tribu nomade, déchiré par le massacre de sa famille survenu une décennie plus tôt, ne pense qu’à une chose : faire la peau des assassins. Il n’est pas en reste pour cela puisqu’il détient une arme climatique aux pouvoirs dévastateurs. Il possède également un cristal, ce réceptacle qui contient l’histoire de sa lignée sur plusieurs générations. Chaque individualité contribuant à la mémoire collective. Pour l’ethnologue Françoise Zonabend, « la mémoire n’est jamais purement individuelle, elle est aussi sous l’emprise des cadres sociaux dans lesquels elle s’inscrit. C’est ainsi que la mémoire collective familiale se constitue par toute une série d’habitudes, de répétitions machinales, de paroles inscrites dans le corps, dans des pratiques rituelles ou encore dans le langage ». (in La mémoire longue, édit. Jean Michel Place, 1999). 

Dans la cité, Cinabre est une privilégiée dotée de pouvoirs surdimensionnés procurés par son créateur qui, en plus de cela, la libère de tout engagement vis-à-vis de lui. Elle est donc une empathe supérieure totalement libre. Cinabre est une préfigurée de la classe sensitive. C'est-à-dire qu’elle perçoit et ressent les pensées à long terme des gens qui l’entourent et de manière plus globale, l’environnement. On trouve aussi des préfigurés érotiques, calculateurs, etc. Elle ne va pas tarder a se retrouver coller au train par des membres de l’Endocène, une organisation secrète chargée de déjouer les trahisons. 

Enfin Triple A vient compléter le tableau. Cet adolescent qui cohabite avec un vieillard épicier ne rêve que d’une chose : quitter la Faille et grimper au sommet des tours de Samarante, assoiffé de Liberté. Une fois arrivé dans le quartier des six tours, il choisit la sixième mais son corps vient buter contre une paroi invisible. Ne pouvant s’arrêter si près du but, il sort son arme et balance la sauce. Pas la moindre fissure. Un drone militaire le localise dans sa fuite et parvient a le neutraliser d’une décharge électrique. Sa condamnation consiste a léguer son corps à un laboratoire durant son incarcération et de confier ses neurones qui seront chimiquement contrôlés. Devenu un être acorporel, Triple A est à présent l’œil de la Cité, munit de quatre cents dix huit yeux répartis aux quatre coins de la ville. 

Dans « Les tours de Samarante », certains éléments peuvent être rapprochés d’autres auteurs. En premier lieu China Mieville dont la Cité fait penser immédiatement à la Nouvelle-Crobuzon, ajouté à cela la présence de gorgones, bien qu’ils n’aient aucun rapport avec l’œuvre du romancier britannique car ici ce sont des veilleurs issus des bas-fonds. La secte des Sculptes aurait aussi parfaitement pu figurer dans Perdido Street station. 
L’un des personnages, que l’on ne nommera pas, est un organisme habité par plusieurs personnes formant un tout supérieur à la somme de chacune d’elle. A rapprocher de Porteurs d’âmes de Pierre Bordage dans lequel des individus expérimentent la translation, à savoir un voyage extracorporel qui consiste pour l’âme de s’extraire du corps pour migrer dans celui d’une autre personne. Se pose alors là aussi la question de l’identité. Que reste-t-il de l’essence même de l’être inévitablement morcellée ? 

Un dernier mot pour finir concernant les peintures sur les murs observées par Triple A qui se multiplient, se modifient et sont évolutives sans intervention extérieure, peut-être comme l’envisage un des protagonistes, inhérentes à la Ville en soi. Dans un passage, lorsque l’imagène de Cinabre apparaît, la cité se dévoile « miniaturisée mais vivante, grouillante de millions de réalités minuscules ». La ville prend corps, respire, elle est « rendue à la chair », en un mot elle s’humanise. 



Ce roman d’une écriture de toute beauté est assurément une très belle surprise. Des questions demeurent encore sans réponses. Toutefois, il nous faut être patient car l’auteur nous dit (peut-être inconsciemment ?) : « il vous manque une pièce du puzzle pour pouvoir apprécier le tableau d’ensemble ». Une, voire deux, puisqu’en principe c’est la première pierre d’une trilogie dont on attend la suite de pied ferme.

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