vendredi 30 décembre 2011

Locke & Key - Joe Hill + Gabriel Rodriguez

Titre : Locke & Key
Scénariste : Joe Hill (USA)
Dessinateur : Gabriel Rodriguez (Chili)
Editions Milady : 2010 (VO, 2008)


Premier tome d'une série en comprenant actuellement 4, "Bienvenue à Lovecraft" brille par un scénario complexe et intrigant, concocté par Joe Hill (fils d'un certain Stephen King), magnifiquement enrichit par le graphisme de Gabriel Rodriguez.


Dans leur maison secondaire, la famille Locke a été touchée par un drame. En effet, deux adolescents déséquilibrés ont tué le père et ont tenté d'en faire de même avec les autres membres. Mais l'aîné - Tyler - a fracassé avec une brique le crâne de l'un, alors qu'il le menaçait d'une arme. Il s’appelle Sam Lesser et étudiait dans l'établissement de M. Locke, dans lequel celui-ci était conseiller d'orientation. Il a été placé dans un centre pour délinquants mineurs. Son partenaire dégénéré, Al Grubb, n'a pas eu la chance de s'en tirer. L'arrière de son crâne a fait la connaissance brutale d'une hachette, avec les compliments de la mère.

Pour essayer de se reconstruire, la famille habite dans un manoir - le Keyhouse. Les trois enfants vivent avec un énorme poids sur le coeur, trouvant refuge dans ce qu'ils peuvent pour oublier. Mais les tentatives sont souvent vaines. Ils s'apparentent à des ombres errantes, hantées par les évènements. Tyler se réfugie dans des travaux pour la maison et l'entretient du jardin. La fille, Kinsey, angoisse à chaque jour passé à la fac, tous les étudiants étant au courant du massacre. Elle se renferme sur elle-même, craignant jusqu'à son propre reflet.
Quant au petit dernier, Bode, il possède une clé d'une porte du manoir lui permettant de se transformer en fantôme. De plus, dans un puits à l'extérieur de la demeure, il communique avec un écho, plus précisément une défunte femme aux intentions douteuses, que lui seul peut voir...


Entre situations présentes et flashbacks, l'histoire s'intensifie, se densifie, entrouvrant de nombreuses pistes dont la plupart sont encore inexplorées dans ce volume. L'ambiance sombre et malsaine envoûte le lecteur, créant un sentiment de malaise, à commencer par cette "chose" au fond du puits. La personnalité des protagonistes commence à se dessiner, même si l'on devine qu'elle sera par la suite approfondie. Cette mise en bouche captivante et surnaturelle impressionne par son côté labyrinthique et laisse augurer le meilleur. A lire d'urgence !

vendredi 23 décembre 2011

L'oeil du purgatoire - Jacques Spitz

Auteur : Jacques Spitz (France)
Titre : L'oeil du purgatoire
Paru en 1945
Editions : L'arbre vengeur (réédition, 2008)


Publié originellement en 1945, "L'oeil du purgatoire" est une des rares oeuvres encore disponibles dans le commerce, actuellment. On peut trouver aussi plusieurs romans de Spitz aux éditions Bragelonne, regroupés sous le titre "Joyeuses apocalypses", et enfin "La guerre des mouches" aux éditions Ombres.


Un artiste sur le déclin peint des femmes qui lui servent de modèles. C'est grâce à elles qu'il se raccroche au monde, tant l'envie de le quitter lui taraude l'esprit. Mais rapidement, il s'inquiète par l'arrivée de divagations visuelles qui altère sa perception du réel. Pour se rassurer, il consulte un ophtalmologiste, qui ne décèle aucune anomalie. Peut-être est-il victime d'hallucinations passagères ? Toujours est-il que son Mal persiste. Pire, il s'accentue. En effet, parmi les humains, il en distingue qui ont clairement une apparence cadavérique. Lui seul semble le remarquer. Quitte à passer pour un demeuré, il se rend chez un médecin... qui se moque gentiment de lui. Furieux, il quitte le cabinet sans demander son reste. Les jours défilent et rien ne change. Le peintre constate que tout ce qui est périssable (chair, fleurs, papier, etc) s'altère. Il s'interroge sur sa capacité à pressentir l'avenir, à avoir un coup d'avance sur le devenir des choses.
C'est par une lettre d'un savant fou qu'il a rencontré, que l'artiste, subjugué, apprend que celui-ci lui a administré un bacille en lieu et place de médicaments pour sa migraine. Selon ce scientifique, il s'agit pour le cobaye, de faire un voyage dans la causalité. Ainsi, impuissant, il assiste à l'agonie du monde, et "il meurt sans grandeur". Le bacille progresse et ses troubles avec. Dorénavant, ce ne sont plus des cadavres qu'il côtoie, mais des squelettes, squelettes qui se transformeront en poussière. Quelle sera l'étape suivante ?  Le malheureux n'est pas au bout de ses peines : "Sous mes yeux, comme un chancre dévorant, s'agrandit un néant que je pressens infini"...


Basé sur une expérience scientifique - la propagation dans un corps humain d'un virus - ce roman voit la déflagration progressive d'un monde sous le regard éberlué d'un homme, qui finira par se replier sur lui-même, ayant la crainte d'être pris pour un fou. Il devient extrêmement froid avec sa petite amie et pour cause : comment prendre du plaisir en faisant l'amour à un cadavre articulé doté de la parole ? Il s'appuie sur la voix afin de reconnaître ses proches, puisque ses ex-semblables ne sont que des squelettes. Simuler un  comportement normal devient un défi chaque jour, et plus le temps passe, plus c'est périlleux. La fin du roman s'avère logique, touchante aussi, apportant la réflexion d'un homme sur la vie qu'il a mené.


Ecrit il y a plus de 60 ans, "L'oeil du purgatoire" n'a pas pris une ride (enfin, façon de parler). Il traite de la folie scientifique et propose une réflexion sur la question du réel. Nous habitons un monde commun que nous ne voyions pas de la même manière eu égard à notre éducation, notre société, à l'usage de drogues ou avec l'altération de fonction(s) de notre organisme par certaines maladies. D'une grande force visuelle et très prenant à lire, cette oeuvre est un véritable joyau que nous vous recommandons chaudement.

samedi 17 décembre 2011

Quinzinzinzili - Régis Messac

Auteur : Régis Messac
Titre : Quinzinzinzili
Paru en 1935 [2009 pour la présente réédition]
Editions L'arbre vengeur


Enseignant, critique, traducteur et écrivain, Régis Messac fit une thèse sur le "roman de détection" (polar de l'époque) et publia des dystopies telles "Quinzinzinzili" ou "La cité des asphyxiés" dans les années 30 qui en font un des précurseurs du genre. En effet sa vision pessimiste de l'humanité éclata au grand jour avec ce texte sombre mâtiné d'un soupçon d'ironie.


Le narrateur se demande encore si son récit contient une quelconque crédibilité (est-il fou ?) ou si ce n'est qu'un rêve. Quoiqu'il en soit, il écrit son expérience pour la transmettre aux générations futures, d'un point de vue historique. Tout débute dans les années 30 avec un conflit planétaire qui débouche sur la seconde guerre mondiale. Un japonais mis au point un gaz lourd hilarant qui, au contact de l'oxygène, provoquait la mort de ceux qui l'avaient inhalés. Ainsi "l'humanité mourut en ricanant". Ce gaz modifia le climat devenu une furie qui ravagea les habitations par des cyclones, des raz de marée ou encore par des éruptions volcaniques.

Le narrateur survit seul, avec quelques enfants tuberculeux. Réfugiés dans une grotte, ceux-ci sont rapidement confrontés à l'absence de nourriture. De plus, le champ de découvertes et d'expérimentations étant particulièrement restreints, les enfants voient leurs connaissances réduites à une peau de chagrin. Ils inventent une espèce de charabia dont le mot "Quinzinzinzili" évoque tantôt Dieu, tantôt d'autres objets ou choses qui leurs sont inconnus. Ils récitent une prière-incantation quotidiennement. D'autres "mots" viennent redéfinir le monde, tel qu'ils le voient. Cette bande de gamins ne brille pas par leur intelligence, ce qui exaspère et fait rire notre narrateur devant ce tissu de conneries : quid de cette nouvelle humanité ? Primitive - Brutale - Crétine...


Après la catastrophe - une seconde guerre mondiale qui a anéantit la majorité des humains - Messac imagine une nouvelle civilisation renaissante, via le regard désabusé et ironique du dernier être "humain". Communiquant par une novlangue à la pauvreté abyssale, les enfants sont rarement valorisés. Ce sont plus des sons barbares que des sons civilisés qui jaillissent de leurs bouches, infectes et puantes. Ils découvrent l'amour, ou plutôt la sexualité car les sentiments sont au placard ; définissent une société non plus patriarcale mais matriarcale (avec la présence d'une seule femme dans le groupe des survivants) ; apprennent le prolongement du bras par l'intermédiaire d'un objet ou d'un outil (idée également présente dans 2001 de Kubrick) ; ou encore ignorent les rites funéraires alors qu'ils usent de rites grotesques pour d'autres gestes a priori anodins (craquer une allumette par ex.).


"Quinzinzinzili" met en lumière un avenir pour l'espèce humaine peu reluisant et profondément pessimiste. Cependant, le tableau n'est pas complètement noir puisque l'auteur n'oublie pas de porter un regard ironique, presque paternel, sur les bêtises des enfants. Il est vrai que notre intelligence en prend un sacré coup sur la cafetière, mais d'un autre côté, les anciens problèmes liés à la société industrielle sont enrayés pour ne laisser place qu'à celui de l'instinct de survie. Après tout, si ces imbéciles sont heureux, n'est-ce point là l'essentiel ?
Grinçant à souhait et élégamment écrit, voici une oeuvre belle et forte qui ne devrait pas vous laisser indifférent.

vendredi 9 décembre 2011

Le fruit défendu - Theodore Francis Powys

Auteur : Theodore Francis Powys (Angleterre)
Titre : Le fruit défendu
Editions L'arbre vengeur
Parution : 2006


Theodore Francis Powys avait pour frères deux autres écrivains talentueux - John Cowper et Llewelyn -, et c'est sans doute à lui que l'on doit l'oeuvre la plus débridée. Il quitta l'école à quinze ans pour faire un apprentissage à la ferme. Plus tard, ne fructifiant pas sa propre ferme, il décida en 1901 de se consacrer à l'écriture. Son oeuvre est largement inspirée de la Bible comme en témoignent les trois textes réunis ici : "Le fruit défendu", qui date de 1927 ; "Quand tu étais nue" de 1931 et enfin "Les grilles d'or" de 1926.


"Le fruit défendu" raconte l'histoire d'un fermier dont la mère vient d'être enterrée. Celle-ci refusait catégoriquement que son fils ramène une fille à la maison. A peine un mois plus tard, il se marie avec sa voisine, bien que ressemblant à un "tronc noueux". Ses pommes sont la chose la plus importante à ses yeux. Il surprend la fille de son ouvrier en train d'en dérober et commet un péché. Lorsque l'on se demande ce qu'il nous manque encore, la réponse finit toujours par arriver. La novella "Quand tu étais nue" s'appuie beaucoup sur la Bible que le personnage central - lui aussi fermier - acquiert pour seulement un shilling. Son fils est d'avis que ce bouquin est "la plus étrange folie dans le plus étrange des livres". Il prend deux servantes qui répondent au nom de Oholiba (le royaume de Juda) et Ohola (royaume de Samarie) afin de gagner du respect auprès de son voisinage, qui critique ouvertement la pauvreté et la "bassesse" de la famille. Mais ce "voile" sera-t-il suffisant pour gagner leur respect ? Et enfin, le très bref et délicieux "Les grilles d'or" qui démontre une fois de plus que l'argent ne fait pas le bonheur et que le malheur des uns fait le bonheur des autres.


Ces trois récits agréables à lire, sans être de grands textes, sont teintés d'une douceur amère et d'un regard acerbe sur l'être humain, à travers ses faiblesses, son égoïsme ou son manque de tolérance. En sachant que le livre coûte une bouchée de pain, il serait dommage de vous en priver. C'est une belle porte d'entrée pour découvrir un auteur injustement méconnu.

jeudi 1 décembre 2011

Treize à la douzaine - Ernestine et Frank Gilbreth

Titre : Treize à la douzaine
Auteur : Ernestine & Frank Gilbreth (USA)
Parution : 1948
Edition Folio junior : 2008

Récit autobiographique écrit par deux des douze enfants du couple Gilbreth, cette aventure familiale humoristique retrace des tranches de vie allant du mariage des parents jusqu'à l'entrée des premiers rejetons à l'adolescence, avec toutes les complications que cela implique : querelles, conflits, mais aussi bienveillance face aux dangers potentiels.


A chaque nouvel arrivant dans la famille, papa était fier d'annoncer le "dernier modèle", en attendant le suivant bien sûr. D'un commun accord, le couple Gilbreth décida à son mariage d'avoir douze enfants. Chose promise, chose due. Pour organiser tous ce petit monde, des règles furent imposées par le père : en effet, chaque enfant devait se brosser les dents, se laver les mains, faire son lit convenablement chaque matin, puis signer sur un tableau accroché à la porte de la salle de bains, attestant que cela avait été fait. Les fraudeurs étaient très vite démasqués par leur papa, avec les sanctions adéquates. De plus, les plus âgés devaient surveiller les petits, pour "soulager" la maman.
Le chef de famille exerçait la profession d'expert du rendement. Il offrait ses services aux entreprises, accroissant inévitablement leurs résultats. Quant-à sa famille, elle servait de laboratoire expérimental. Ce qui fonctionnait en son sein, le devait également à l'extérieur, et vis versa. Il va sans dire qu'entretenir autant de monde ne laissait guère de place à la fantaisie. Aussi, chaque centime était intelligemment dépensé.
La maman, bien que se rangeant derrière l'autorité de son mari, désapprouvait les punitions et les coups qu'il donnait à ses enfants. De manière générale, cela marchait plutôt bien. Mais les enfants avançaient dans l'âge, et bientôt les premières filles voulaient se maquiller, se parfumer, porter de beaux habits, ce qui mettait leur père dans tous ses états...


"Treize à la douzaine" est un très beau roman, souvent drôle. L'éducation passe sans doute pour autoritaire de la part du père - contrebalancée par la psychologie de la mère - mais se veut avant tout profondément humaine. Derrière ce masque de dureté, se dissimilait un homme qui adorait ses enfants et faisait son possible pour leur transmettre des connaissances (apprentissage de plusieurs langues, du morse, des maths, etc.), le plus souvent sous forme de jeux, avec un petit cadeau pour le premier ayant trouver la réponse. On ressent dans l'écriture le côté "vécu" des deux auteurs, et à en croire la tonalité du livre, cette expérience leurs fut enrichissante.

mardi 8 novembre 2011

Op Oloop - Juan Filloy

Auteur : Juan Filloy (Argentine)
Titre : Op Oloop
Editions Toussaint Louverture
Paru en 2011 (VO, 1934)


La reconnaissance de Juan Filloy - qui vécut 106 ans - s'est accentuée depuis quelques années en Argentine. On le compare à un certain Borges. "Op Oloop" est sa première oeuvre traduite dans nos contrées.


La vie de Op Oloop (un statisticien finnois) est organisée comme une équation mathématique. Il lui est a priori impossible d'aller à l'encontre de sa routine. Sa demeure s'apparente à "un agenda vivant, un centre d'archivage, un empire du pense bête". Mais un accident de la route va tout remettre en cause. Dès lors, son comportement va sensiblement changer. Cependant, Op Oloop sait très bien comment il est, et il pense que sa folie n'appartient qu'à lui, qu'elle est "d'un genre unique qui n'a pas encore été répertorié". Les autres ont la vision obstruée par leur brouillard quotidien. L'occasion pour lui de mettre en lumière les vices de ses congénères, ce qui ne manquera pas d'en désarçonner plus d'un...


Difficile de parler de cet O.L.N.I. La première idée qu'il m'en vient, met en évidence son côté déjanté, l'auteur évoquant l'amour, la religion, la société, par ex., le tout avec des tournures volontiers ironiques et satiriques. "Op Oloop" n'est pas sans rappeller "Vie de saints" de Rodrigo Fresan (un autre argentin, décidément), dans le sens où c'est super fun à lire, on se marre, on sourit, mais on a du mal à voir où Filloy a voulu en venir. On pourrait dire au sujet du roman, cette phrase dont elle est issue : "Son délire crépitait dans les vortex du songe". C'est une expérience déroutante qui plaira à ceux qui n'ont pas peur de sortir du confort des romans linéaires traditionnels. En somme, soit ça passe et vous vous dîtes "ce type est génial", soit vous vous arrêtez à la p10 et vous priez pour l'âme du dément.


"Op Oloop" oscille donc entre d'un côté le côté jubilatoire de l'écriture et sa vision sardonique de la vie et de la société, et de l'autre côté le sentiment d'avoir par moments été égarés, en se demandant où tout cela allait nous conduire. Une chose est sûre, si un autre Filloy venait à débarquer en France, nous poursuivrons l'aventure, car celui-ci a eu le mérite de nous titiller, avec un goût de reviens-y !

vendredi 28 octobre 2011

Trois cercueils se refermeront - John Dickson Carr

Auteur : John Dickson Carr (USA)
Titre : Trois cercueils se refermeront
Parution : 2010 aux éditions Le Masque (1935 en VO)


Après l'enthousiasmant roman "La chambre ardente", c'est avec une certaine impatience que nous attaquions ce livre, afin de savoir s'il est du même acabit. Dès les premières lignes, on devine la réponse, avec un meurtre a priori impossible, dans une chambre close, et le désir de connaître au plus vite le subterfuge.


"Vous ne croyez pas qu'un homme puisse se lever de son cercueil ? Qu'il puisse se rendre invisible et se déplacer à sa guise, sans que les murs signifient rien pour lui ?"
Telle est la supposition farfelue d'un homme venu mettre en garde le docteur Grimaud (adepte de la magie), que son frère (et lui-même) sont capables de réaliser cette prouesse. Car il affirme même que son frère va le tuer. Quelques jours plus tard, le docteur succombe à son domicile, précisément dans son bureau, abattu d'un coup de colt. Problème. Plusieurs témoins étaient devant la porte de la chambre du crime et n'ont vu personne en sortir. Quant-à l'unique fenêtre de la pièce (à l'étage), elle n'a pu être utilisée pour s'échapper. En effet, une belle couche de neige, absolument intacte, couvre le sol. Pas de traces non plus sur le toit... Voici donc un joli casse-tête en ligne de mire pour résoudre cette intrigante énigme...


Carr mène de manière subtile l'intrigue, en croisant et en analysant les différents témoignages, afin de mettre - provisoirement ou définitivement - les personnages hors de cause. Il s'amuse aussi à brouiller les pistes, en insérant une atmosphère de magie (le milieu de la prestidigitation n'est pas loin) et de fantastique (des hommes qui seraient sortis de leurs cercueils dans un lointain passé), pour notre plus grand plaisir. La solution, assez imprévisible, désarçonne et conclut brillamment la construction du récit.


En somme, un polar captivant et malicieux, que vous lirez d'une traite... et un auteur à (re)découvrir au plus vite !

lundi 24 octobre 2011

Steampunk Bible - Jeff Vandermeer & S.J. Chambers

Auteurs : Jeff Vandermeer - S.J. Chambers
Titre : Steampunk Bible
Parution : 2011
Editeur : Abrams

Si le nom de Chambers ne vous dit pas grand chose, vous connaissez peut-être Vandermeer, dont "La cité des saints et des fous" à été traduite aux éditions Calmann-Levy. Il a publié d'autres oeuvres - hélas inédites - telles "Finch", "Shriek" ou "Veniss underground". A travers un ouvrage enrichi de nombreuses illustrations et agréable à parcourir, les auteurs nous proposent un voyage pour découvrir les prémisses du sous-genre steampunk jusqu'à ses derniers développements.

Tout d'abord, en quelques mots, qu'est-ce que le steampunk ? Littéralement traduit, cela signifie "punk à vapeur". Le terme désigne à la base des fictions dont l'action se déroule au XIXè siécle (avec l'utilisation des machines à vapeur) durant la révolution industrielle et se poursuivant à l'ère victorienne.

Si les auteurs remontent à Verne, Wells, Poe (l'auteur du premier canular steampunk ?) et aux contes philosophiques pour identifier les proto-steampunk, c'est bien dans un bar californien que le steampunk "moderne" a vu le jour, au milieu des années 80. En effet, c'est avec un bon délire que trois auteurs vont poser les bases de cette sous-culture : James Blaylock (Homunculus), K.W. Jeter (Morlock night) et Tim Powers (Les voies d'Anubis)  écrivent une forme d'histoire alternative basé sur l'ère victorienne.

Ensuite, d'autres formes d'expressions se développent : Les jeux de rôle (Les royaumes d'acier, Dungeon Twister, etc.) ; la musique (Abney Park et Dr Steel, en particulier) ; le cinéma (Steamboy, Le château ambulant, Capitaine Sky et le monde de demain, etc.) ; les jeux vidéo ou encore la mode.

Quelques pistes de lecture :

Paul Di Filippo : La trilogie steampunk - Gibson et Sterling : La machine à différences - Kim Newman : Anno Dracula - Gail Carriger : Sans âme - Thomas Day : L'instinct de l'équarisseur - le bel essai de Etienne Barillier intitulé "Steampunk".

En VO :
Arthur Slade : the hunchback assignments - Falksen : blood in the skies - Stephen Hunt : the court of the air - Dexter Palmer : The dream of perpetual motion.


A noter que le livre est assez facile d'accès, et que par conséquent il serait dommage de s'en passer sous prétexte qu'il n'est pas traduit. Si au départ le terme "steampunk" prêtait à sourire, son ampleur ne cesse de croître et gageons que ce sous-genre a encore de beaux jours devant lui. A découvrir !

mardi 11 octobre 2011

Le facteur sonne toujours deux fois - James Cain

Auteur : James Cain (USA)
Titre : Le facteur sonne toujours deux fois
Editions Folio policier
Parution : 2000 (VO, 1934)

En plus d'avoir été un scénariste à Hollywood, James Cain écrivit des polars dont celui-ci est, sans doute, le plus connu. Très court, totalement immoral et sans détour, ça claque et ça marque.

En Californie, Franck Chambers (un vagabond) accepte un job de mécano dans une station essence. Très vite intéressé par l'épouse du proprio, ceux-ci ne vont pas tarder à faire des galipettes. Les tourtereaux vont tenté de maquiller le meurtre de l'encombrant mari en accident domestique : mais cela échoue. Le cocu s'en tire avec une fracture du crâne... et une volée de soupçons sur le couple immoral, aux yeux de la police. Le mari n'y a vu que du feu. Mieux, il retrouve en ville son ex-employé (qui avait mis les voiles) et l'incite à reprendre son poste. Ce dernier accepte. Dès lors, la seconde tentative pour supprimer l'homme va suivre son chemin. Mais ce n'est pas chose facile que de tuer sans attirer l'attention...

On sait très peu de choses sur les trois personnages, l'auteur allant à l'essentiel. Ici, sous couvert de normalité, l'épouse et son amant entreprennent des choses qui semblent quasiment naturelles (après tout, tuer son mari pour se barrer avec un autre, rien de plus logique). Leur relation deviendra ambiguë, étrange même, entre haine et passion. La fin oscille entre le grotesque, un manque évident de chance, ou un énième acte roublard de la part du vagabond. On referme le livre un peu sonné et dérouté, ne sachant véritablement quoi penser des pages que l'on vient de lire : à la fois sarcastique, ironique, malsain, absurde, désopilant, démentiel, loufoque... pour sûr, l'image de la vie n'en sort pas grandi.

vendredi 7 octobre 2011

Quand la ville dort - William Riley Burnett

Auteur : William Riley Burnett (USA)
Titre : Quand la ville dort
Editions Folio policier, 2008
Parution originale : 1949

Classique de la fin des années 40, "Quand la ville dort" évoque la préparation d'un braquage de bijouterie par une équipe expérimentée. Mais dans la vie, tout ne se passe pas toujours comme prévu.


Un criminel de niveau mondial, Riemenschneider (alias Herr Doktor), vient de sortir de taule. Il se rend fissa chez un bookmaker, avec une valoche contenant 100000 dollars. Son plan vise à se faire un pactole d'un demi-million de dollars en se faisant la bijouterie. Le bookmaker le met en relation avec un restaurateur qui a du pif pour "sentir" les gens (fiables ou non) et qui dispose de beaucoup d'informations concernant les flics ; Dix, un tueur dont une meuf sur le déclin l’agrippe ; Emmerich, l'avocat véreux ; et enfin un serrurier de haut vol, Louis. Ce joli monde pense réaliser un coup sans risque. Mais la machine si bien huilée va inévitablement grincer. D'autant plus que la ville a accueilli un nouveau commissaire général qui n'a qu'une envie : réduire la vague de criminalité.


Il est dommage que l'intrigue ne soit pas plus rapidement posée, car si l'on suit les rencontres entre truands et l'élaboration du plan avec intérêt, on regrette le manque d'action. Cependant, la dernière partie compense cette insuffisance, en nous offrant le côté fragile et "humain" des malfrats, les rendant presque affectueux. Presque, car ce ne sont pas des enfants de coeur, loin de là. Plus que le casse en lui-même, c'est davantage le côté psychologique et relationnel que Burnett prône, avec en premier lieu, Louis, le serrurier, qui avait abandonné le monde criminel pour les beaux yeux de sa tendre épouse, et de son petit bambin. Au final, un bon polar, avec cette petite pointe de réserve pour la mise en route.

dimanche 2 octobre 2011

La chambre ardente - John Dickson Carr

Auteur : John Dickson Carr (USA)
Titre : La chambre ardente
Editions Le masque
Parution : 2003 (1937 pour la VO)

L'américain John Dickson Carr (1906-1977) est un auteur de romans policiers à ranger aux côtés des Agatha Christie, Ellery Queen ou Dorothy Sawyers. Ces intrigues tournent autour d'un crime a priori impossible, l'histoire prenant volontiers une orientation surnaturelle, bien que la solution soit la plupart du temps totalement rationnelle. "La chambre ardente" est sans doute l'une de ses oeuvres les plus célèbres.


A Crispen, aux portes de Philadelphie, Miles Despard vient de succomber à une gastro-entérite. Mais la gouvernante a eu une vision juste avant son décès. Celui-ci était en conversation avec une femme costumée, qui aurait quitté la pièce par une porte murée depuis deux cents ans.
La certitude que Miles n'est pas mort de façon si naturelle arrive. En effet, le chat ayant bu dans la tasse du défunt a été retrouvé mort. De l'arsenic en forte dose en est la cause. Mais comment certifier cet empoisonnement ? Il n'y a pas trente-six solutions : il faut autopsier Miles. Un problème inattendu vient s'ajouter. Le cercueil est vide, bien qu'il soit dans "une crypte de granit, sans fenêtre et fermée, non point par une porte, mais par une dalle pesant une demi-tonne sur laquelle il y a une couche de gravier et de terre". Mais ce n'est pas tout. Edward Stevens découvre dans un manuscrit (qu'il doit lire pour sa maison d'édition) la photo de sa propre femme... guillotinée il y a 70 ans pour empoisonnement. Mauvaise blague de l'auteur ? Pas sûr. D'autant plus lorsque l'on trouve un manuel de sorcellerie dans la chambre du défunt et sous son oreiller une corde comprenant neuf noeuds...


Carr nous mène en bateau de manière fort ingénieuse, en montrant l'impossibilité d'un événement (du moins sans intervention surnaturelle) - à savoir la disparition d'un cadavre enterré, tout en disculpant les protagonistes, chacun ayant un alibi en béton. Comme le crime n'a pu être commis que par une personne proche, nous nous retrouvons donc dans une impasse. Mais petit à petit les masques tombent et le nom du coupable va alors éclater au grand jour. Le dénouement final n'intervient que lors du dernier paragraphe, nous laissant admiratif et comblé. La chambre ardente n'a assurément pas usurpé son qualificatif de chef-d'oeuvre. A lire d'urgence !

vendredi 30 septembre 2011

Julian - Robert Charles Wilson

Auteur : R.C. Wilson (Canada)
Titre : Julian
Parution : Editions Denoël
Année : 2011 (2009 pour la VO)

Livre préféré à ce jour de l'éditeur dans la bibliographie du canadien, c'est avec une certaine curiosité que nous attaquions ce roman de Wilson. Les critiques globalement élogieuses confortaient notre sentiment de passer un bon moment. D'autant plus grande en fut la déception. Nous y reviendrons.

Aux alentours des années 2170, une grande crise pétrolière frappa à l'échelle planétaire. Après ce chaos, les Etats-Unis se reconstruisent via son armée et la religion. Cette religion (le Dominion) éduque notamment par l'intermédiaire de son "recueil du Dominion pour jeunes personnes" et en censurant volontiers livres et films.
Le président a l'esprit presque tranquille, en dehors de la menace de son neveu (Julian Comstock) qui est  agnostique, scientifique et philosophe. Pour s'en débarrasser, il l'envoie sur le front dans le conflit du Labrador contre les Hollandais, ces Mitteleuropéens avides des précieuses ressources naturelles. Mais Julian se révèle bon soldat - bien qu'anti-militariste : "c'est chose amère que de tuer des inconnus", et une personne appréciée. Son ascension peut alors commencer...

La narration est assurée par l'ami de Julian, Adam Hazzard. L'écriture de Wilson,limpide et fine, contribue au plaisir de lecture. Mais là où le bas blesse, c'est au niveau de l'histoire. Je n'ai pas réussi à être intéressé par la trajectoire du personnage, et je trouve dommage qu'il n'ait pas plus approfondi le rôle du Dominion, la guerre contre les Hollandais, l'économie, les conditions de vie, etc. Fait rarissime, j'ai lâché le livre p420, en ayant l'impression d'être passé à côté du bouquin.

Les qualités d'écriture indéniables de "Julian" ne peuvent donc masquer sur la distance les lacunes de l'histoire, trop linéaire, avec de bonnes idées sous-exploitées. Nous considérons ce livre comme une fausse note, et vous invitons à vous faire votre propre opinion, étant donné qu'il bénéficie majoritairement d'une bonne presse.

dimanche 25 septembre 2011

Joueur_ 1 - Douglas Coupland

Auteur : Douglas Coupland (Canada)
Titre : Joueur_ 1
Paru en 2011 (VO, 2010)
Editions Au Diable Vauvert


Connu et reconnu pour des romans tels "Toutes les familles sont des psychotiques" ou "Génération X", l'auteur dresse une fin du monde apocalyptique en espace clos (un bar dans un aéroport) et disserte sur le sens de la vie, la notion du temps, notre relation avec autrui, la religion, sans entrer dans des discours pompeux.


Dans un aéroport, cinq personnes se retrouvent bloquées au bar en raison de plusieurs explosions alentours qui provoquent un épais nuage de poison (anthrax et autres joyeusetés) : ça pique les yeux et ça démange beaucoup. A l'intérieur donc, Rick, le barman dans l'attente du Messie (Leslie Freemont) qui laissera à désiter dans son rôle titre ; Karen, la quarantaine, divorcée avec une gamine, qui a justement rancard avec un homme rencontré sur le net. Cet homme, c'est Warren. Et manque de bol pour lui, il se fera flinguer par un terroriste sur le toit. Le pasteur Luke, qui, sur une illumination divine (?), vient de se tirer avec la caisse de sa paroisse (quelques milliers de dollars). Et enfin, Rachel, à la beauté sidérante, qui souffre de multiples anomalies cérébrales : pas de sens de l'humour, incapacité d'entretenir une relation normale, incapacité à reconnaître les visages, etc. En voilà une bien partie dans la vie. Son souhait le plus cher consiste à se dénicher un géniteur pour démontrer à son père qu'elle peut être un temps soit peu "normale".

A l'extérieur, en plus des explosions terroristes et du tueur sur le toit, le prix du baril de pétrol prend des proportions ahurissantes pour atteindre son summum, 900 dollars. Ca calme tout net. N'ayant d'autres choses à faire que de se barricader et d'attendre les secours, ceux-ci vont être amenés à faire connaissance, à parler de tout et de rien, et dans cette atmosphère de fin du monde, à s'interroger sur la vie, sur le temps qui passe, sur le rôle de la religion, etc. Doit-on faire en sorte de laisser une trace de soi après soi dans l'Histoire ? Est-il vain de mener une vie banale puis quitter cette planète sans avoir compter pour quelqu'un ? Coupland y apporte un début de réponse en nous incitant à profiter de ce lapse de temps qui nous est accordé et à vivre ce moment comme une expérience.

Le roman se lit très vite via la fluidité de l'écriture et les changements de chapitre rapides (chacun étant axé autour d'un personnage), mais il manque quelque chose pour en faire un grand livre. On a du mal à être complètement intéressé par ce qu'il se passe dans ce bar, en dépit des mises en perspective du sens de l'existence et de la capacité d'adaptation des individus face à une situation exceptionnelle. On aurait aussi aimer en savoir davantage sur les événements extérieurs. Plaisant à lire, à mi-chemin entre la fiction et l'essai, "Joueur_1" est au final un peu raté, mais mérite tout de même qu'on s'y arrête.

mardi 6 septembre 2011

Hard boiled - F. Miller & Geof Darrow

Titre : Hard boiled
Scénariste : Frank Miller
Dessinateur : Geof Darrow
Editeur : Dark Horse
Première parution : 1992

Un individu pense s'appeler Seltz, avoir 35 ans, une femme et deux enfants. Sauf que c'est un androïde appartenant à une unité, programmé pour tuer. Sur ce point, il remplit parfaitement son contrat. Ses missions tournent rapidement au carnage, et là, pas de cadeau. Il exécute des dizaines d'innocents (humains) à chaque fois. "What the heck's going on ? I thought i was a normal guy". Raté, man !

Il faut bien reconnaître que le scénario est assez mince. De nombreux points auraient mérités d'être éclaircies, cependant l'essentiel ici concerne le graphisme. Et quel graphisme ! Les planches fourmillent de détails dans cet univers futuriste, férocement sexuel et ultra-violent.

On ressort donc un peu sur notre faim, en se disant qu'avec un scénario à la hauteur du travail effectué par Darrow, on aurait eu droit à un must.

lundi 5 septembre 2011

Drood - Dan Simmons

Auteur : Dan Simmons (USA)
Titre : Drood
Editions Robert Laffont
Paru en 2011 (VO, 2009)


"Drood" retrace de manière mi-biographique mi-fictive, les cinq dernières années de vie du célèbre Charles Dickens (alias l'Inimitable), à travers le récit de son ami et compagnon d'écriture, Wilkie Collins. En grand consommateur de laudanum (opium), sa prose prendra des tournures hallucinées, et embarquera le lecteur dans ses délires - ou supposés tels.

En 1865, Dickens fut un miraculé de l'accident de Staplehurst. Un drame ferroviaire qui envoya plusieurs wagons dans le précipice, hormis celui dans lequel il se trouvait. En descendant le remblai pour prêter assistance, l'écrivain croisa un homme qui s'appelait Drood, un "personnage énigmatique et fantomatique, spectrale, vêtu d'une cape noire". Profondément perturbé par l’évènement,  Dickens confia plus tard à Collins que Drood a tué des passagers blessés, allant jusqu'à le soupçonner de cannibalisme. Son ami douta fortement de la version rapportée par Dickens, pensant qu'il était encore en état de choc.
Par la suite, l'écrivain se lança dans le mesmérisme (l'hypnose) pour soigner son épouse, atteinte de crises d'hystérie. Il se consacra également à des lectures publiques et interpréta de nombreuses pièces de théâtre.
Quant au mystérieux Drood, il hanta toujours notre homme, le voyant à sa fenêtre de chambre bien qu'elle soit au première étage ou à d'autres occasions. Un inspecteur de police confirma l'existence de Drood, qui aurait tué des centaines de personnes depuis vingt ans...

On sent que Dan Simmons s'est parfaitement documenté sur les deux auteurs et sur leur époque. Leur relation  jalonne le récit, passant de l'admiration de Wilkie à de la jalousie pour ne pas dire de la haine, car Dickens est unique. En outre, l'influence du laudanum laisse planer le doute sur le degré de véracité des propos de son compagnon. Nous assistons aux ravages de la drogue, et à l'état de santé précaire du narrateur, agacé qui plus est par un scarabée aggripé derrière son oeil droit de temps à autre.
Par ailleurs, Collins nous prend à partie, nous "Cher Lecteur" pour immiscer des remarques sur sa démarche créatrice ou pour mettre l'accent sur certaines choses.
A noter qu'il n'est pas indispensable d'avoir lu Dickens ni Collins pour comprendre "Drood", bien que la lecture du "mystère d'Edwin Drood" (laissé inachevé) soit assurément bénéfique pour en saisir toutes les subtilités.

Avec "Drood", Dan Simmons nous livre quasiment une oeuvre biographique, même si la plume opiacée de Collins à de quoi désarçonner. En dépit de quelques longueurs, saluons l'audace de l'auteur dans un registre qui lui est moins familier, pour un résultat certes nébuleux mais captivant.


mercredi 17 août 2011

Le cirque du Dr Lao - Charles Finney

Auteur : Charles Finney (USA)
Titre : Le cirque du Dr Lao
Paru en 1979 (1935 pour la VO)
Editions J'ai lu

Charles Finney ayant séjourné une partie de sa vie en Chine avant de se fixer en Arizona, il n'est donc pas surprenant de voir ce livre teinté d'orientalisme. Plus rares sont en revanche les romans qui évoquent le domaine du cirque, qui plus est sous l'angle du fantastique. L'exotisme et l'étrangeté vont s'immiscer dans le récit, pour le moins surprenant.

Dans la ville de Abalone en Arizona, la routine n'a pas de quoi réjouir la population, souvent contrainte de ne pouvoir voyager. Cela va sans dire qu'à l'annonce d'un cirque à la fête foraine, affirmant la venue de créatures étranges ou hybrides, voire de formes de vies d'outre monde, va provoquer un intérêt notoire des habitants. Trois charrettes défilent, exposant une licorne, un énorme serpent, un chien vert ou encore un ours. Ou un homme ? Pardon, il s'agit bien d'un ours. N'est-ce point un russe ? Changez vos lunettes, mon gars, c'est un ours. Bref, passons, puisqu'ils ne sont pas capables de se mettre d'accord.
Le propriétaire du cirque, l'étrange Dr Lao, présente les créatures et numéros dans un anglais impeccable. Toutefois, sa langue dérape dans un verbiage à peine compréhensible dès qu'il se met en colère.
Le clou du spectacle verra l'émergence de Satan et du dieu Yottle.


Avec l'arrivée d'un évènement exotique et peu commun - un cirque pour le moins étonnant, la vie d'une bourgade se voit chamboulée. Surviennent alors des discussions loufoques et passionnées sur ces créatures surnaturelles et fantastiques. On suit le basculement progressif de l'émerveillement vers une dimension complètement surréaliste, onirique et pour le moins effrayante, dans les toutes dernières pages. Par sa thématique originale et son sens de l'humour communicatif, l'auteur nous fait passer un bon moment. Le passage dans un monde où tout est possible est régit par un processus : l'imagination. Au lecteur, donc, de la laisser se réaliser. Bon spectacle !


dimanche 14 août 2011

Gunnm - Yukito Kishiro


Auteur : Yukito Kishiro (Japon)
Titre : Gunnm (9 tomes)
Editions Glénat
Parution VO : 1995


« Kuzutetsu, la décharge, territoire de tous les déchets de Zalem, l’utopie flottant au-dessus des nuages ». La société nous est dévoilée d’emblée avec un clivage haut/bas, dominants/dominés. Zalem apparaît toujours lointaine, inaccessible pour les êtres vivants dans la décharge et certains pensent qu’ils pourront un jour rejoindre cette cité. La décharge est peuplée de quelques rares humains et d’une majorité de cyborgs. Daisuke Ido dit le « doc » est réparateur mécanique. En se baladant dans une décharge à la recherche de pièces il va récupérer une partie du « corps » d’une jeune fille. Seule reste la partie supérieure constituée de divers éléments mécaniques et de sa tête et son cœur. Il choisit de l’appeler Gally (prénom de son défunt chat) en attendant qu’elle retrouve la mémoire. Ido lui fabrique un nouveau corps aidé par son assistant Gonzu. L’opération est une réussite.
Gally a des doutes sur la manière dont Ido se procure ses éléments mécaniques corporels et décide de le suivre. Elle va découvrir qu’il est « hunter warrior » (chasseurs de primes) en remplacement de ce qui autrefois s’appelait la police. Gally s’engage elle aussi, en catimini. Elle sera confronter à Makaku, un monstre métallique qui se nourrit de cerveaux d’animaux et d’humains. Suite à un échec amoureux elle se réfugiera dans le motorball, circuit dans une arène où des cyborgs s’affrontent pour le contrôle d’une balle.

            Le rapport au corps. Kishiro s’appuie sur Nietzsche en se demandant si « l’intelligence est influencée par l’enveloppe que l’on habite » et nous dit aussi que « l’esprit n’est qu’un jouet pour le corps ». Au cours du manga, Gally change plusieurs fois de « corps » et à chaque fois sa personnalité évolue, se modifie. On peut comparer ces changements d’enveloppe corporelle à des  rites de passage. C’est l’idée du passage d’un monde antérieur à un monde nouveau. Une phrase de Van Gennep illustre  parfaitement l’univers du manga : « pour les groupes, comme pour les individus, vivre c’est sans cesse se désagréger et se reconstituer, changer d’état et de forme, mourir et renaître ».

          Cette courte série (seulement 9 tomes), qui se prolonge dans "Gunnm last order", est indispensable pour les amateurs de science-fiction, et devrait plaire d'une manière générale au plus grand nombre. Un classique du rayon mangas à ne pas manquer !




mercredi 10 août 2011

Les jours étranges de Nostradamus - Jean-Philippe Depotte

Auteur : Jean-Philippe Depotte (FRA)
Titre : Les jours étranges de Nostradamus
Editions Denoël
Paru en 2011

Après son prometteur roman historique et ésotérique "Les démons de Paris" où l'on pouvait croiser des personnages réels (Lénine et Papus, entre autres) mêlés à de la fiction, l'auteur s'attaque avec son second livre au XVIè s, autour du célèbre astrologue Nostradamus. Le personnage principal, Philibert Sarrazin, a lui aussi existé. Il exerçait la profession de médecin et était un disciple de Ambroise Paré.

"QUAND UN ASTROLOGUE NE SE TROMPE JAMAIS, CELA DEVIENT UN SORCIER."

Amené sur Paris par un ami et collègue médecin afin de disposer d'un cadavre tout récent, Philibert Sarrazin se fait enlever par des soldats. Il doit soigner le roi Henri II, blessé par une lance, mais il ne peut le sauver. Un astrologue que toute l'Europe s'arrache, Michel de Nostredame (Nostradamus), avait prédit son décès. L'homme qui a enlevé l'infortuné médecin lui propose un contrat : se rendre en Provence dans la ville de Salon où demeure le prophète, afin de percer ses secrets. Quoi de plus normal, lorsque cet énigmatique et talentueux individu, n'est autre que votre beau-frère...


Dans un XVIè s ravagé par des heurts multiples comme les conflits religieux entre huguenots et papistes ; entre la chirurgie de Paré et la médecine des Galien/Hippocrate ;  entre la science et le prophétisme ; ou encore la sorcellerie qui vise essentiellement les femmes, accusées d'avoir pactisées avec le diable ; ajouté à cela la peste, tous ces éléments donnent matière à réflexion et permettent à l'auteur de relire l'Histoire à sa manière. L'intrigue, soutenue et passionnante, se lit avec jubilation, via une écriture très fluide et élégante.

Jean-Philippe Depotte confirme brillamment tout le bien entrevu lors de son premier livre, en proposant une oeuvre plus maîtrisée. L'auteur désirant traiter plusieurs époques de l'Histoire sous un angle différent, nul doute que s'il garde cette qualité littéraire et cette ambition sans prétention, nous n'avons pas fini d'entendre parler de lui. C'est tout le mal qu'on lui souhaite.




mardi 9 août 2011

L'adieu à l'automne - S.I. Witkiewicz

Auteur : S.I. WITKIEWICZ (Pologne)
Titre : L’adieu à l’automne
Parution : 1991 (VO, 1927)



« Les 622 chutes de Bongo » fut le premier roman d’un des auteurs les plus marquants de la littérature polonaise (1910, mais publié à titre posthume). Il faudra attendre plus de quinze ans pour voir publier son seconde roman en 1927 : « L’adieu à l’automne ». Cette œuvre très dense et ambitieuse s’avère être l’une des plus abouties de l’auteur.



            Le personnage principal du roman (Athanase) est un jeune homme d’environ 28 ans, issu d’une famille modeste, pour ne pas dire pauvre. Il vit en couple avec une certaine Zosia, qu’il épousera. Cependant, il est écœuré de sa tentation de la chair pour la sulfureuse Héla – « cette monstruosité métaphysique de l’érotisme ».  Sa fascination pour Héla – bien qu’il éprouve dans le même temps un grand amour pour sa femme – va le conduire à provoquer en duel Tropoudreh (le partenaire d’Héla). Athanase sera sérieusement blessé, ce qui aura pour conséquence le rapprochement des deux rivaux.

            Ayant échappé à une mort stupide, Athanase se pose des questions d’ordre existentiel. Il mûrit aussi ses réflexions sur l’avenir de la société dans laquelle il envisage la mécanisation de l’humanité, la décadence de l’art et de la philosophie ou encore l’extinction de la religion. Si par le passé l’homme se réalisait en créant, pense-t-il, demain, il évoluera dans une société « grise et ennuyeuse ».



           
            La majorité du roman est focalisée sur la déchéance d’Athanase (la psychologie est omniprésente) et en premier lieu sur son amour ambiguë et viscéral pour Héla, la créature luciférienne. C’est avec elle qu’il aurait aimé le plus échanger sur la philosophie car celle-ci était dotée d’une intelligence impressionnante. Malgré cela, Héla se plaisait à rester en retrait. Cet amour impossible conduira à des dommages collatéraux dans les deux couples. Athanase s’empêtrera dans son non-être abyssal : « il s’adonnait à la contemplation paisible de son propre néant ».

            Héla recherchait quant-à elle sa vraie voie en matière de religion. En effet elle passa de la judaïté (pratiquante) à la judéité (abandon de sa religion) puisqu’elle s’est convertit au catholicisme puis plus tard s’est orientée vers le bouddhisme.

            En grand consommateur de substances narcotiques (Witkiewicz en a écrit un essai), il n’est pas surprenant de les voir apparaître dans le roman. Il y décrit les ravages de la drogue à travers l’un des personnages qui sombrera (Athanase en réchappe, se rendant compte des dégâts qu’elles provoquent).

                        Sur le plan politique, la Pologne est chamboulée par des révolutions successives qui débouchent sur un triste Etat nivelliste où règne « la grisaille du bien-être généralisé », peuplé d’automates désindividualisés.



            D’une manière globale ce roman s’apprécie en s’investissant pleinement dedans, bien qu’il soit d’un accès difficile. C’est très touffu, complexe et par moments, il faut bien le reconnaître, plutôt pompeux. De nombreuses références politique, philosophique sociologique, etc. parsèment le livre, dont certaines échapperont au lecteur (y compris votre serviteur), néanmoins cela n’a pas d’incidence sur la compréhension du récit. Fresque immense, « L’adieu à l’automne » se révèle une œuvre pessimiste, visionnaire, érotique, méditative, qui mérite qu’on s’y arrête.

Les disparus - K.K. Rusch


Auteur : Kristine Kathryn Rusch
Titre : Les disparus 
Editions Bragelonne
Parution : 2008




            Surtout connue en France pour sa série de fantaisie intitulée « Les Fey », c’est cette fois-ci en science-fiction que nous pouvons la découvrir avec la traduction d’un cycle de space opéra qui comprend à l’heure actuelle six tomes : Les experts récupérateurs.
            Cette américaine a également fait quelques incursions sous d’autres pseudonymes en littérature générale et en polars.


            Dans un futur indéterminé, l’espèce humaine a colonisé l’espace. Elle s’est établit sur la Lune, sur Mars et cohabite depuis une vingtaine d’années avec des aliens et ce jusque sur leur planète d’origine. Ces extraterrestres se nomment Wygnin, Rèv et autres Disty. Ils ont, en dehors de leurs caractéristiques physiques, leur propre langage, leurs coutumes et leurs lois que chaque espèce est tenue a respectés. Cet apprentissage est un processus très lent et implique nécessairement des conflits qu’ils soient voulus ou non.


            Des agences de Disparition ont vu le jour pour permettre aux personnes ayant commis un crime à l’encontre des extraterrestres de refaire leur vie et d’échapper à leur système judiciaire implacable et extrêmement sévère, qui plus est à l’égard des humains. En effet, une personne qui a enfreint la loi, même par inadvertance, sera poursuivit infiniment jusqu’à ce qu’elle soit retrouvée. La condamnation peut prendre alors deux tournures :

- La première est un emprisonnement sur leur planète mère si le présumé coupable n’a pas de descendance, comprenant des activités harassantes au-delà du supportable. C’est ce que tente de fuir Ekaterina Maakestad, avocate dans son ancienne vie à San Francisco, pourchassée par les Rèv. Devenir une Disparue implique une rupture totale avec son passé afin de renaître sous une autre identité. Ekaterina, dorénavant Greta Palmer, quitte du jour au lendemain son boulot, son mari, ses amis, pour aller travailler dans une entreprise de textiles sur Mars. Mais tout ne se passe pas comme prévu. Celle-ci surprend une conversation du pilote qui vient de négocier un échange avec les Rèv contre une belle somme d’argent. Elle parvient à expulser les trois membres de l’équipage dans une capsule et à foncer sur la Lune pour y trouver refuge. Rien ne s’y déroulera comme elle l’espérait et elle devient la proie du dôme Armstrong.

-  La seconde consiste en l’enlèvement de sa progéniture (le premier enfant si le condamné en a plusieurs) qui deviendra un Wygnin ou un Rèv par exemple. Cet enfant bénéficiera d’une éducation et d’un traitement identique aux enfants aliens. Avec les conséquences psychologiques que cela implique. C’est ce qui attend deux enfants retrouvés à bord d’un vaisseau sur la Lune qui menacent d’être retirés à leurs parents.

Les inspecteurs de police Miles Flint et Noëlle De Ricci sont chargés des affaires. Ils devront faire preuve de psychologie au cours de leurs négociations avec les non humains ; essayer de mettre de côté leurs sentiments et faire preuve de tact pour éviter tout incident diplomatique…


Dans ce premier tome, nous nous familiarisons avec les différents personnages, avec les lois multiculturelles et prenons conscience de la complexité de l’interaction entre les espèces. L’équilibre est très précaire. On a l’impression que la moindre offense peut déclencher les hostilités. Le lecteur reste un peu sur sa faim par rapport à la description des sociétés et des coutumes extraterrestres car l’essentiel de l’intrigue tourne autour du système judiciaire et de manière générale du droit. Ce droit qui, en plus d’être construit socialement, a pour but de punir et d’être un régulateur de la société.
Une autre petite réserve pour la notion de tolérance. Les Rèv désapprouvent les humains dotés d’augmentations physiques musculaires ou esthétiques et leurs font savoir en affichant un profond mépris. Cela me semble exagéré.


En somme, « Les disparus » est une excellente entrée en matière de ce cycle dont on espère que toute sa richesse entrevue se dévoilera un peu plus par la suite. Servi par une écriture limpide, c’est avec grand plaisir que nous suivons les enquêtes de ces deux flics prêts a jouer avec les limites de la Loi pour sauver ce qui peut encore l’être. 

Rituel du mépris - Antoine Volodine


Auteur : Antoine VOLODINE (FRA)
Titre : rituel du mépris
Editions : denoël, coll. Présence du futur
Parution : 1986



Le récit débute par un interrogatoire subit par le narrateur qui nous parle de son enfance et de son éducation par son oncle qui le menaçait avec une hache alors qu’il n’était âgé que de 3 ans. Bienvenue sur terre man.
Ensuite nous suivons le déroulement de son enfance chez un de ses oncles qui s’avère être un voleur, celui-ci lui montrant la technique à son neveu, il s’agit de passer par les toits (rien de bien original). Cet oncle ne porte guère d’intérêt au garçon qu’il traîne plus comme un boulet que comme un bon compagnon.
Volodine s’adresse directement au lecteur d’un ton résolument humoristique « pour ce qui concerne mon écriture, j’espère que l’on me pardonnera les boucles et les déliés fantastiques qui vont errer aux longs des lignes. Je ne suis pas responsable. C’est une blessure au doigt qui risque de rendre mon exposé indéchiffrable » (s’il n’y avait eu que ça, nous y reviendrons) et une remarque du même style à la fin du récit.
Un peu plus loin nous apprenons que la tante fait croire que son mari (l’oncle), le Goldzer, s’est jeté par la fenêtre. Tout le voisinage rapplique et compatit. Petit problème cependant, l’absence de cadavre. En effet, aucune trace de sang sur le sol, le Goldzer se serait volatilisé. La tante indique en douce au neveu qu’il est planqué à l’étage, humour noir quand tu nous tiens. Un autre oncle du narrateur s’engage à le retrouver, non pour des raisons amicales et encore moins familiales…
Les forets alentour de la ville sont peuplées de Morguves. Chez cette espèce, la femme est choisie dès son enfance. Leurs enfants naissent mous et gluants (un peu comme les nôtres, en moins pire)…



A la fin, on découvre avec un peu plus de détails qui est notre narrateur. Malgré la petitesse du livre (180p), je me suis profondément ennuyé. Il ne se passe rien, cela ne fait pas réfléchir non plus, l’histoire ne m’a pas plu.
Je crois que ce livre va disparaître rapidement de ma mémoire. Le plus étrange est que je n’arrive pas à le détester, il ne me fait simplement ni chaud ni froid.

Cadavres - François Barcelo


Auteur : François BARCELO (Québec)
Titre : Cadavres
Paru en 2002 dans la coll. Folio policier



            Saint-Nazaire, petite bourgade québécoise. Raymond, un looseur de première d’une trentaine d’années, tue plus ou moins accidentellement d’une balle dans la tête sa mère pendant qu’il conduit sa bagnole pourrie.  Cela ne lui fait pas plus d’effet que ça.  Il éjecte le corps de la voiture et le jette au fossé. En rentrant, il téléphone à sa sœur, Angèle, pour lui annoncer la nouvelle. Elle arrive illico presto pour entendre sa version. Elle n’est pas bouleversée puisqu’elle ne l’a pas vu depuis dix ans. Angèle veut voir le cadavre, histoire de la voir une dernière fois. Ils partent donc récupérer le corps mais pensant tomber sur celui de leur maman, ils découvrent celui d’un motard. Pas de trace de leur mère. Ils en viennent à douter de sa mort.

            Par ailleurs, les frère et soeur ne connaissent pas la véritable identité de leur père. Leur mère affirmait que c’était l’un de sa dizaine d’amants. Ils sont eux aussi en disgrâce depuis pas mal d’années. Angèle jouait dans une série B policière ayant pour slogan le fameux trois « s » : sexe, sang, seins. Problème, son contrat ne sera pas renouvelé par la direction, son amant l’a largué avant le réveillon, en somme elle est dans le même pétrin que Raymond. Sauf que lui, c’est sa ligne directrice.

            Raymond décide le lendemain de récupérer le cadavre du motard pour l’enterrer dans la cave. Il sera enterré au côté d’un autre squelette dont il ignore  l’identité. Un couple de vendeurs de tapis a assisté à la scène en passant en camion devant sa voiture lorsqu’il chargeait le corps. Il a fait semblant de lui parler mais la ruse n’a pas marché puisque peu de temps après. Ding dong. On sonne. Enfin, on sonne façon de parler puisque la sonnette ne marche pas depuis deux ans. Ceux-ci veulent procéder à un échange. Raymond essaie bien de faire celui qui n’est pas au courant mais ça ne dure pas. Il va donc déterrer le motard et le couple le remporter pour les funérailles et aussi la drogue qu’il avait sur lui. Comme convenu, ils lui remettent un cadavre enroulé dans un tapis et se barrent. Angèle le déroule et croit voir sa mère, elle en est certaine. Raymond profite de la situation mais sait parfaitement que ce n’est pas elle, car elle n’a pas de trou à la tête. La supercherie sera écourtée par deux individus à la recherche du couple de camionneurs au courant qu’ils avaient un cadavre, en l’occurrence la fille, elle s’appelait Nicole…



            Ce roman est un « cadavre » exquis. Le personnage de Raymond est farfelu, un brin attardé, psychopathe, il me fait penser aux deux tueurs dans l’excellent film des frères Coen, « Fargo ». Si vous avez aimé ce film, ça devrait vous plaire. Les situations sont ubuesques. Il est dommage que ce ne soit pas mieux écrit. En effet, Barcelo a une plume peu élégante, maladroite par moments, toutefois le récit palpitant fait que ce défaut passe au second plan. Un bon polar à découvrir.   

samedi 6 août 2011

Les nouveaux nouveaux mystères de Paris - Cécile Vargaftig

Auteur : Cécile Vargaftig (FRA)
Titre : Les nouveaux nouveaux mystères de Paris
Parution : Au diable vauvert
Année : 2011

Après les Zola, Féval, Malet, "Les mystères de Paris" de Sue inspire Vargaftig. Elle reprend un de ses personnages fétiches et fictifs - Frédérique - employée dans des romans précédents. Le texte oscille entre des expérimentations littéraires et les vicissitudes de la femme, un brin trop nombrilistes pour parvenir à nous intéresser pleinement.


En treize chapitres, Vargaftig nous fait vivre les aventures de Frédérique - bisexuelle sur le déclin du haut de ses 37 ans - qui galère de plus en plus pour obtenir les faveurs de jeunes demoiselles. Elle se permet des voyages dans le temps, en particulier un chapitre sur un sujet épineux et poignant lorsqu'elle débarque au camp de Ravensbruck au côté d'une certaine Germaine Tillion. Les interrogations existentielles du personnage ne sont pas en soi trépidantes (je dirais même que c'est souvent futile et sans intérêt). Là où le texte prend un tournent plus intrigant et pétillant, c'est durant les interventions de l'auteure au coeur du récit, lorsqu'elle s'adresse au lecteur quand elle indique les modifications qu'elle a effectuées, ses doutes sur l'écriture, le classement de son livre en librairie (ou bibliothèque), mais aussi quand son personnage lui-même (Frédérique) évoque ou interpelle Cécile (l'auteure). Ces passages sont plutôt croustillants.


A l'instar de ce roman débridé, le lecteur se lance sur des chemins "pleins de carrefours, de dangers, de fausses pistes, et de merveilleux imprévus". Avec les réserves émises ci-dessus à l'encontre du caractère égocentrique du personnage, ces "nouveaux nouveaux mystères de Paris" se lisent sans déplaisir, cependant on ne peut s'empêcher d'éprouver une pointe d'agacement.

vendredi 5 août 2011

Salem - Stephen King

Auteur : Stephen King (USA)
Titre : Salem
Parution : 1975 (VO)
Réédition LGF : 2009

Deuxième roman publié de Stephen King après Carrie, Salem se veut volontiers un pastiche du Dracula de Bram Stoker. Cette version a été augmentée de passages coupés que l'auteur voulait rajouter, ainsi que des nouvelles.

Une bourgade à 30 bornes au nord de Portland dans le Maine a vu bon nombre de ses habitants la déserter. Ceux qui y ont vécu refusent d'évoquer leur départ. Le nom de cette ville ? Jérusalem'Lot ou encore... Salem.
Ben Mears, écrivain, retourne à Salem pour rédiger son roman et surmonter ses vieux démons. En effet, dans sa jeunesse, il a découvert un pendu dans la sinistre demeure appelée Marsten House. Et ce macchabée a ouvert les yeux. Hallucination suite au stress ? Peut-être. Sauf que sur une période de dix ans, quatre enfants ont disparu. Inhabitée durant une vingtaine d'années, plus rien de notable ne fut signalé.

Un commerçant en import-export et son associé ont ouverts tout récemment une boutique à Salem. Ils ont également acheté Marsten House. Coïncidence ou simple hasard, peu de temps après l'arrivée des étrangers, un chien est retrouvé désossé sur un pic devant le cimetière... avant qu'un enfant disparaisse en forêt, pendant que son frère, choqué et présent lors de sa disparition, ne succombe à l'hôpital de façon troublante. Aux yeux de certains anciens, ces évènements sont trop flagrants pour ne pas établir un lien avec le passé de Marsten House. L'angoisse saisit alors lentement et inexorablement les habitants...



Stephen King tisse une toile mystérieuse et inquiétante d'une ville confrontée à l'indicible. Qui pourrait croire de telles sornettes ? Narrer les faits à la police serait interprété au mieux par le rire, au pire par un petit séjour chez les zinzins. L'intrigue se met en place lentement, avec quelques passages surprenants, mais globalement on connaît la destination. Ici, ce n'est pas tant l'arrivée qui incombe, mais plutôt la route l'y conduisant. Peut-être un poil trop long, cependant "Salem" est une lecture de choix au milieu de la déferlante vampirique qui envahit nos rayons.

mercredi 3 août 2011

Anthropologie de la douleur - David Le Breton

Auteur : David LE BRETON 
Titre : anthropologie de la douleur 
Edition : Métailié 
Parution : 2006, première édition 1995 


Introduction 

L’appréhension de la douleur est unique. Elle varie en fonction de l’époque, du pays, de la culture, de l’éducation de l’individu. Elle est intime donc mais elle est aussi imprégnée de social et de relationnel. Le rapport au monde de l’individu et son expérience à son égard conditionne ses affects vis-à-vis de la douleur. 
L’auteur a tenté de saisir la construction sociale et culturelle de la douleur, au-delà de la dimension biologique et comprendre la signification qu’il lui donne. 


Expériences de la douleur 

Dans la vie de tous les jours, l’homme est constamment pris dans la routine (ritualités sociales et répétition des situations proches les unes des autres), n’ayant pas de pépins physiques. Dès lors qu’une douleur surgit, celle-ci lui rappelle son enracinement physique et la fragilité de son corps. La douleur induit un renoncement partiel à soi allant jusqu’à un désintérêt de la vie quand la souffrance persiste. En temps normal, l’individu se doit de garder la face, mais ce mal lui fait opter pour des comportements autres comme des pleurs, des plaintes, des grimaces, etc. La douleur paralyse l’activité de la pensée, elle pèse également sur le jeu du désir. Le souffrant envie ceux que la douleur épargne. Selon l’auteur, la douleur aiguise le sentiment de solitude, elle contraint l’individu à une relation privilégiée avec sa peine. L’homme qui souffre se retire en soi et s’éloigne du monde. 
Le malade se sent inutile lorsqu’il est dépendant d’autrui et plus encore lorsqu’il sent une gène ou une indifférence de l’équipe soignante. Il a le sentiment d’être un poids. Si la douleur est omniprésente, intolérable et condamnée à subsister, l’envie de mourir du patient va s’intensifier. Soit il va se suicider, soit il refusera de prendre ses médicaments, dans le cas où aucun espoir n’est possible, le seul recours sera l’euthanasie. 


Aspects anthropologiques de la douleur

La douleur n’est pas un fait physiologique, mais un fait d’existence. Ce n’est pas le corps qui souffre mais l’individu en son entier. 
Certaines personnes recherchent la douleur comme par exemple les masochistes qui sont en quête d’une jouissance incluant la mise en danger de l’intégrité physique (fouets, scarifications, coups…). Elles éprouvent du plaisir par identification aux tortures infligées aux autres. D’autres ne ressentent aucune douleur et demeure souriant ou impassible aux blessures. C’est dû au non investissement, à une relation d’extériorité avec leurs sentiments et leur corps. Elles s’automutilent, s’enfoncent des objets dans les yeux, parfois par curiosité devant cette asymbolie à la douleur. 
Le corps est avant tout une structure symbolique. 


La construction sociale de la douleur 

Une douleur identifiée à une cause, à une signification, est plus supportable qu’une douleur restée dans le non-sens, non diagnostiquée, non comprise par l’acteur. En effet, comprendre le sens de sa peine est une autre manière de comprendre le sens de sa vie. Toutes les sociétés humaines, nous dit Le Breton, intègrent la douleur dans leur vision du monde en lui conférant un sens, voire une valeur. 
La douleur n’est pas en proportion de la gravité de la lésion. Le mal est parfois indolore, comme par exemple une atteinte au cerveau. Les conséquences peuvent être bien pires qu’une chute en vélo par exemple (même si elle peut aussi être mortelle). 


La douleur infligée 

La torture, souvent usitée pour obtenir des renseignements politiques, n’a de bornes que l’imagination des tortionnaires. Elle vise à briser le sentiment d’identité de la victime. En l’humiliant, en la traitant comme un vulgaire objet, on la déshumanise. Elle devient in-humaine, et par-là même condamnée au néant par ses bourreaux. 
Les torturés qui en réchappent ont des séquelles souvent à vie. Le traumatisme est ancrée dans la mémoire et dans le corps, en effet celui-ci se souvient. Certains sons, les contacts corporels, la vue du sang sont difficilement supportables pour le supplicié lui rappelant les conditions de sa détention. Dépression, ulcères gastriques, insomnies, maux de tête, autant de blessures qui coupent le désir de vivre. 
Pour la torture et de manière globale pour toute personne souffrante, c’est par la parole attentive, l’écoute, le contact physique, la douceur, que se restaure progressivement le goût de vivre. Soigner, c’est d’abord prendre soin. Aux yeux de l’auteur, le soulagement efficace de la douleur, parce qu’il implique simultanément une action sur la souffrance, sollicite une médecine centrée sur la personne et pas seulement sur des paramètres biologiques. 

mercredi 27 juillet 2011

La ballade de Halo Jones - A. Moore & I. Gibson

Titre : La ballade de Halo Jones
Scénariste : Alan Moore
Dessinateur : Ian Gibson
Editions Soleil
Parution : 2011 (VO entre 1984 et 1986)

Initialement, cette série devait se dérouler sur neuf tomes. Mais en raison de divergences avec l'éditeur, la série se stoppa au troisième. En France, seul le premier tome fut traduit. Cette édition offre donc au lecteur la possibilité de découvrir une oeuvre qui, bien que n'ayant pas l'envergure des bijoux que sont Watchmen, From Hell, V pour Vendetta ou encore Promethea, mérite largement le détour, ne serait-ce que pour le génie du scénariste.


"LES FIGUES NE PORTENT PAS DE BOUCLES D'OREILLE".


Au 50ème siècle après J-C, une communauté vit dans un monde clos, l'Anneau, dans lequel les riches sont séparés des pauvres. Pour ces derniers, le quotidien rime avec misère sociale et émeutes. Pour faire du shopping, c'est un véritable parcours du combattant. Le chômage y est aussi très élevé. Un monde sans avenir. Des armes étranges sont utilisées (zénades, multiglobes hurlants, pistolakrik...) et les policiers, nommés "renifleurs", sont des anciens criminels lobotomisés.
Halo Jones erre dans ce lieu avec ses amis, accompagné d'un chien cybernétique. Le meurtre d'une amie va la décider à quitter définitivement l'Anneau, attirée par sa soif d'évasion. C'est le début d'aventures et de vicissitudes sur des planètes diverses où elle rencontre des extra-terrestres, enchaînant plusieurs jobs, jusqu'à son engagement dans l'armée...


Le dessin de Ian Gibson se marie parfaitement au scénario de Moore, pour un résultat convainquant. Il ravira les amateurs tout autant que les profanes. De plus, cette série fut la première bd féministe de science-fiction. A noter la présence importante de coquilles qui gâche le plaisir de lecture, c'est bien dommage. Après la réédition de "Dr & Quinch" et des inédits issues du magazine "2000 AD", on attend la suite des événements avec une certaine impatience. Qui sait, peut-être aurons nous droit enfin à sa série réputée intraduisible "The bojeffries saga" ? Wait & see, as we say...