dimanche 30 décembre 2012

Atomic Bomb - David Calvo & Fabrice Colin


Auteurs : David Calvo - Fabrice Colin (FRA)
Titre : Atomic Bomb
Editions Le Bélial
Parution : 2002


"Atomic bomb" est la rencontre de deux esprits brillants et complémentaires, d'auteurs talentueux dotés d'un génie et d'une folie, communicatifs. Tout deux âgés de moins de 30 ans lorsqu'ils ont pondu cet OLNI jouissif, ils ont depuis fait leur chemin de manière bien différente. Fabrice Colin est un mec capable d'écrire  quatre ou cinq romans par an, dans des genres très diversifiés, bien qu'il se consacre davantage à la littérature de jeunesse. Quant à David Calvo, c'est un auteur à l'univers barré, qui publie trop peu, mais que l'on retrouve toujours avec une grande curiosité.


Le roman se scinde en trois parties. Dans chacune d'elle, les chapitres alternent entre deux narrateurs, que l'on devine aisément, mais dont on ne sait qui de David ou de Fabrice se dissimule derrière, ou peut-être est-ce les deux ? 
La première partie suit les aventures de deux septuagénaires qui ont tout plaqués, leur boulot et  leur saloperie de bonne femme (quand ce n'est pas elle qui s'en est chargée), pour aller faire la bringue, se chouter comme des malades et le summum du kiffe : se suicider en surfant sur la dernière vague atomique, ce qui est moins vulgaire qu'un putain de flingue, avouons-le.
La seconde partie, peut-être la plus hilarante, se consacre à deux extraterrestres, originaires du Bang. Ils débarquent sur Terre où il y a "une race locale très sympa et des explosions atomiques". En forme de poire, leur corps peut se modifier à volonté. Ils sont accueillit chaleureusement par les parisiens avec qui ils sifflent des bières. Ils ne sont pas une menace pour la population, puisqu'ils l'ont dit à la télé, et "la télé, c'est la parole de Dieu". Alors, bon. Malheureusement, ces êtres se multiplient très vites et à moins de les faire fondre ou de les découper aux ciseaux en petits morceaux, ils sont éternels. Depuis le Bang qu'ils vivent, on vous a dit. Une fille leur demande alors : "- Vous ne mourez pas ?  [et l'autre de lui répondre] - Pour quoi faire ?" Du coup, ils font le tour de la planète : Ku-Ba, Brésil, ou encore faire du snowboard dans les Alpes. Mais au bout d'un moment, ils commencent sérieusement à se faire chier. Même regarder un film porno les emmerde, après tout, ce n'est rien d'autre qu'un documentaire sur la reproduction humaine. La vieille peau du cinéma n'a même pas voulu leur rembourser la place. Quelle pétasse !  Ils s'occupent comme ils peuvent mais ne songent qu'à une chose : trouver un trou noir pour se barrer de ce maudit caillou. 
La troisième nous immisce dans la peau de deux rats au Japon. Ce sont des frangins qui appartiennent à une secte appelée "La Main du Destin". Leur mère les a sauvé de l'explosion du bateau dans lequel ils se trouvaient, mais elle a probablement succombé. Les frères sont cependant persuadés du contraire, et espèrent la retrouver, car une maman, ça ne peut pas mourir. Bien que l'humour soit présent, le texte est assez triste, en évoquant la disparition de personnes qui nous sont chères, ajouté à une toile de fond historique marquante sur la seconde guerre mondiale (la bombe atomique et les kamikazes). Certains passages sont très touchants, comme celui-ci : "le plus important dans la vie, c'est le savoir. Et puis aimer sa maman, bien sûr." En dépit de leur manque d'ambition, après tout ce ne sont que des rats, ils ont pour objectif de détruire une force obscure qui se sert de souris uniquement pour faire du profit, ce qui est, rongeusement parlant, inacceptable : à mort, Nintendo !


Rares sont les livres qui provoquent un tel plaisir de lecture, rafraîchissant, où l'on sent que les auteurs se sont éclatés, en roue libre, sans prise de tête, en nous faisant partager leurs délires. Les propos ne sont pas pour autant totalement gratuits car au milieu de cette foire à la rigolade, on trouve des interrogations sur le sens de la vie (ou plutôt son absence), une invitation à se cultiver, à faire des expériences, à vivre l'instant présent, et  surtout ils délivrent un message d'Amour, à la fois familial et amical. Une chose est sûre, "Atomic Bomb" fait énormément de bien, il revigore et donne du peps. En cela, ce médoc devrait être remboursé par la sécurité sociale. Et ce n'est pas le brave Kwak qui va me contredire, n'est-ce pas Kwak ? - Kwak ! 


dimanche 23 décembre 2012

J'étais Jack l'Eventreur - Claude Ferny


Auteur : Claude Ferny (FRA)
Titre : J'étais Jack l'Eventreur
Editions Florent-Massot
Publication : 1994 (première publication, 1956)



Claude Ferny est le pseudonyme de l'écrivain français Pierre Marchand (1906-1978). Il utilisa également le nom de Peter Marsh, comme autre nom de plume. On lui doit plusieurs pastiches de Sherlock Holmes comme "1 mort vert, 3 morts violets". Le roman "J'étais Jack l'Eventreur", publié dans les années 50, nous retrace l'itinéraire d'un tueur conscient de sa folie, éprouvant une haine féroce envers la gente féminine. 


Dans la petite ville de Chelmsford en Angleterre, Charley Dorsett vivait dans une famille protestante dans laquelle la froideur paternelle déteignait sur tout le monde. Charley éprouvait à la fois une crainte et une admiration pour les femmes. Il tomba amoureux d'une camarade de classe. Devenue distante avec lui, il envoya son seul ami pour essayer d'arranger les choses. Soucieux de connaître sa méthode, il les observa alors qu'ils se promenaient dans la nature... avant que ceux-ci ne flirtent en riant à gorge déployée. Sa haine se manifesta alors brusquement, et il sut que ces "chiennes" seraient le fruit de sa vengeance sanguinaire. Il commença par tuer sa chienne en la traînant par la laisse attachée à son vélo, jusqu'à ce qu'il n'en resta qu'un grossier morceau de chair en bouillie. Puis il massacra une vitrine de mannequins à la hache.  
Parvenant à canaliser tant bien que mal sa folie grandissante, il mena des études de médecine. Quelques années plus tard, son talent fut reconnut par ses pairs qui le nommèrent "grand couteau". Trop conscient du mal qui le tiraillait en lui, il tenta (et loupa) deux tentatives de suicide successives. Le chirurgien y vit un message divin destiné à le punir. Charley fit preuve de philanthropie  hélas, son destin était tout tracé. Il voulait des cadavres. Frais de préférence. Et quoi de mieux que le sinistre quartier londonien de Whitechapel pour en dénicher...


Partant d'une banale trahison amoureuse durant son adolescence, la dégradation progressive de l'état mental du narrateur ne cessa de s'intensifier. A ses cours de médecine, lorsque Charley échangeait avec d'autres filles de manière trop personnel, "ce n'était plus un gracieux visage de jeune fille que j'avais devant moi, mais une tête de chienne, à la langue pendante." Il était en parfaite connaissance de sa dérive dévastatrice, et fit son maximum pour la contenir (tentatives de suicide, amputation volontaire, internement psychiatrique, etc.). Ce personnage immonde nous apparaît néanmoins comme "sympathique". En effet, Charley sauva des vies de par sa profession de médecin-chirurgien, il s'engagea dans une association, et créa un prix de la vertu. Mais c'est surtout son incapacité à aimer les femmes qui nous touche, souffrant profondément de ce manque. Sur la fin de sa vie, de puissantes visions ténébreuses le hantaient, de femmes qu'il avait sauvagement assassiné : "Dans leurs longues mains aux ongles démesurés, elles tenaient leurs entrailles fumantes et sanglantes et elles m'aspergeaient de gouttelettes pourpres. La plaie de leur ventre baillait et, par instant, j'en voyais sortir des faces de démons hideux dont les cornes me menaçaient. Elles étaient toutes là, avec leurs têtes de chiennes." La dernière phrase du livre, à vocation universelle, laisse un message qui prend un sens encore plus fort venant d'un homme qui, sa vie durant, fut ravagé par ses sentiments.



Cette lecture malsaine, douloureuse et poignante, hante l'esprit du lecteur d'images morbides qui vous prennent aux tripes, tout en éprouvant une compassion - certes infime - pour ce meurtrier horrifique. Ce court roman dérangeant, inspiré d'un célèbre fait divers, brille autant par son côté humain, qu'inhumain. 

mardi 4 décembre 2012

Le lézard noir - Edogawa Ranpo


Auteur : Edogawa Ranpo (Japon)
Titre : Le lézard noir
Editions Picquier
Parution : 2002 (VO, 1934)


Ecrivain de polars à succès, Edogawa Ranpo se distingue par la subtilité et la finesse de son écriture. Parmi ses oeuvres les plus célèbres, on lui doit "La proie et l'ombre", "L'île panorama", "La bête aveugle", et cet excellent "Lézard noir" publié en 1934.


Une femme fatale tire d'un mauvais pas un homme dans une boîte de nuit qui a tué deux personnes par vengeance amoureuse. Elle a un tatouage sur le bras et se fait appeler "le lézard noir" ou "l'ange noir". Dans le laboratoire d'une université où elle travaille, le lézard noir offre une nouvelle identité au criminel en transformant le corps d'un cadavre lui ressemblant, puisque l'école réceptionne quantités de corps défunts. En échange de cette faveur, la femme le considère dorénavant comme son esclave, chose qui ne semble guère contrarier le monsieur, bien au contraire. Il intègre donc l'équipe du lézard noir. Le but de la prochaine mission est de kidnapper la fille d'un gros joaillier afin de l'échanger contre un gros diamant...

L'intrigue savoureuse enchaîne les retournements de situation entre deux cerveaux ingénieux : d'un côté le lézard noir, de l'autre le détective Akechi (chargé de la surveillance de la fille du joaillier). De nombreuses ruses sont employées de chaque côté pour arriver à leur fin. Ainsi, des déguisements, des mannequins fictifs, des transformations physiques, dupent aussi bien les adversaires que le lecteur. Ce lecteur qui est pris à partie par le narrateur lors d'un évènement a priori illogique : "Le lecteur pense peut-être que je me suis trompé. [...] Mais je vous assure que l'auteur ne s'est pas trompé". On prend beaucoup de plaisir à lire le récit, ravi de se faire surprendre.


Un polar à conseiller pour son approche originale, sous l'angle du "jeu" entre deux esprits brillants et habiles. Ce divertissement malicieux et intelligent est un régal.

dimanche 2 décembre 2012

Au commencement était la fin - Stanley Elkin


Auteur : Stanley Elkin (USA)
Titre : Au commencement était la fin
Editions Cambourakis
Parution : 2012 (VO, 1979)


Ecrivain juif américain, Stanley Elkin est l'auteur de treize romans traitant essentiellement, sous forme satirique et extravagante, de thèmes comme la culture populaire, le consumérisme et les relations entre hommes et femmes. Ce quasi inconnu bénéficie d'une seconde chance grâce aux éditions Cambourakis qui ont commencé à rééditer son oeuvre et traduisent des inédits, dont "Au commencement était la fin" fait partie.


Ellerbee est un homme qui, dans sa malchance, a le coeur sur la main. En pleine déchéance financière suite à de mauvais placements de SICAV (Société d'Investissement à CApital Variable), il ne touche par ailleurs qu'une faible somme sur sa maison incendiée car il l'avait fait sous-évaluer pour gruger le fisc. C'est la vie. De plus, son commerce à Minneapolis a été cambriolé à plusieurs reprises. La dernière a provoqué la mort de deux employés. Ellerbee décide de verser néanmoins les salaires aux veuves pendant plusieurs mois, tandis qu'un consortium (qui a peut-être organisé les vols du magasin) rachète son commerce pour une bouchée de pain. Ellerbee acquiert un nouveau magasin, dans un quartier moins dangereux. Mais, manque de bol, une nouvelle attaque survient. Il est mortellement blessé par une balle dans la tête. 
Ellerbee monte au Paradis avec un ange de la mort. Il voit Dieu sur son trône, "un Être drapé dans une robe immaculée". Ensuite, il rejoint l'Enfer avec Saint-Pierre pour une petite visite. Des démons "cornus, armés de fourches" tentent de semer la terreur, mais leur autorité fait défaut. 
Ellerbee rencontre une soixante d'années plus tard en Enfer, le complice du braqueur qui l'assassina. Les deux hommes échangent. Le second, Ladlehaus, lui révèle qu'il est devenu criminel parce qu'il ne comprenait pas les blagues. Vu qu'il ne riait pas, les autres le prenaient pour un dur. Quelle gloriole ! 
Dieu, dans toute sa splendeur, confie aux damnés qu'il ne se rappelle même plus avoir créé cet endroit ou encore qu'il porte des verres de contact. Dieu n'est pas non plus infaillible. En effet, il commet une grosse boulette en prenant Ladlehaus (dernier arrivé) pour l'ancien Ladlehaus (le premier de tous les Ladlehaus de l'Enfer, et pour sûr, ils sont nombreux), ce cynique qui osa interroger le créateur afin de savoir si la vie existe avant la mort. Dieu lui demande de disparaître... et l'envoie au Purgatoire, où il est enterré par inadvertance. Ce pauvre Ladlehaus, qui n'était pour rien dans cette affaire, reçoit de temps à autre la visite de Quiz, le gardien du stade d'un lycée, qui répète, "Sablés diététiques", tel un mantra. Heureusement (ou pas), des gosses viennent lui taper la discute. C'est toujours plus agréable que de se faire pisser sur le museau par un abruti de gardien...


"Au commencement était la fin" est un roman à la fois humoristique, ironique, absurde et décalé, qui donne à réfléchir sur notre existence, sur la question de la mort, et sur nos croyances. Le dénouement, sans compromis possible, fait mouche en bouclant de façon ridicule et risible le récit. A découvrir !

dimanche 25 novembre 2012

Vanille ou chocolat ? - Jason Shiga


Scénariste et dessinateur : Jason Shiga (USA)
Titre : Vanille ou chocolat ?
Editions Cambourakis
Parution : 2012 (VO, 2010)


Jason Shiga est l'auteur de plusieurs bd parmi lesquelles Bookhunter et Empire state. Mais c'est surtout avec Vanille ou chocolat ? que l'américain frappa un grand coup. Cette bd expérimentale, labyrinthique et surtout amusante à parcourir, se démarque clairement de la production habituelle. Un pari osé, on ne peut plus salutaire.


Le principe est simple. La première page nous présente le personnage central, Jimmy, qui doit choisir un parfum de glace, vanille ou chocolat. En fonction de votre choix, vous allez devoir suivre l'une ou l'autre trajectoire, via des tuyaux. Ces tuyaux vous font voyager au milieu des 80p, grâce aux onglets. De nombreuses bifurcations se présentent, multipliant les pistes (ou impasses). Parmi ces 3856 histoires possibles, on dénombre huit fins (plus ou moins heureuses^^). 
Jimmy rencontre un savant, le professeur K, qui lui montre ses trois plus belles inventions, et l'invite à les tester. Il y a le Killitron 2000 qui est un gadget apocalyptique ; une machine à voyager dans le temps et un Qalmar, qui permet le transfert mémoriel d'un cerveau à un autre. En fonction de votre choix, vous serez amené vers d'autres bifurcations comme par ex. le "pile ou face" ou "je sais (ou) flûte je sais pas (le code d'accès)". 
L'aspect ludique est ici privilégié, et c'est un réel plaisir que de naviguer, se perdre, revenir, recommencer, les trajectoires. Des éléments de science-fiction viennent enrichir le récit, bien qu'ils ne soient guère approfondis, mais là n'est pas l'essentiel. Nous sommes confrontés à la fin du monde, à l'immortalité, au voyage dans le passé pour modifier le futur incluant la possibilité de rencontrer son autre soi. 
Après deux bonnes heures d'exploration, je ne suis pas certain d'avoir épuisé le champ des possibles. Ce qui tombe bien parce que le concept donne sacrément l'envie d'y revenir.


Cette bd atypique et originale, née de l'esprit d'un fou ou d'un génie vous fera passer de belles heures récréatives. Tout simplement épatant !

vendredi 23 novembre 2012

Le chevalier inexistant - Italo Calvino


Auteur : Italo Calvino (ITALIE)
Titre : Le chevalier inexistant
Réédition Folio : 2012 (VO, 1959)


Sous forme de fables humoristiques, Calvino publia dans les années 50 une trilogie comprenant Le vicomte pourfendu (1952), Le baron perché (1957) et Le chevalier inexistant (1959), devenue classique.


Les Chrétiens en guerre contre les Sarrasins durant le Moyen-Âge, sous la direction du carolingien Charlemagne, bénéficient d'une aide inattendue. Dans leurs rangs, les chevaliers comptent sur un renfort de poids qui se nomme Agilulfe (un soldat modèle mais antipathique). Il s'agit plus précisément d'un chevalier inexistant conscient de son existence. C'est juste, matériellement parlant, un tas de ferraille, un être qui est "présent" dans son armure, mais qui n'a pas d'endroit, "quelqu'un qui y est sans y être". Il ne dort pas, pas plus qu'il ne mange, et se révèle très précieux au milieu de cette bande de paladins belliqueux (enfin, ça c'est ce qu'ils prétendent, car toutes les occasions sont bonnes pour s'arrêter boire un verre dans les tavernes sous prétexte de préserver les forces de l'empereur vieillissant). 
Durant leur expédition, les chevaliers croisent un homme toqué, qui existe réellement, mais qui n'en a pas conscience. Que quelqu'un crie "Fromage" ou "Mouton", celui-ci rapplique à toute vitesse pensant qu'on l'appelle, il ne fait aucun lien avec une éventuelle offrande, car il ne sait pas nommer les choses. On lui donne des dizaines de noms, en fonction de l'endroit où il se trouve. Ici, il se fait appeler Gourdoulou. Cet imbécile heureux plait à Charlemagne qui l'engage comme écuyer. De quoi mettre un peu plus d'animation, si besoin en est...

Sous couvert d'une fable assez délirante, Calvino tacle l'absurdité de la guerre. Par ex., quiconque souhaite demander une réparation suite au décès d'un proche, doit s'adresser à la surintendance des "Duels, Vengeances et Atteintes à l'Honneur". Lorsqu'un chevalier réclame un combat contre l'émir qui a éliminé son père, celui-ci obtient finalement gain de cause, mais son rival meurt d'une manière tellement absurde que sa frustration l'emporte. Ailleurs, l'auteur brille par les descriptions d'une charge de bataille entre destriers dans laquelle les deux premières lignes se rejoignent. Alors, "c'était l'embouteillage et personne n'y comprenait plus rien". Dans ce chaos, "quand on ne parvenait pas à s'affronter, on échangeait des gros mots". Ne parlant pas la même langue, des interprètes (inattaquables, d'un accord commun) se chargeaient de traduire d'un camp à l'autre les insultes diverses, faute de quoi les chevaliers se heurtaient à une incompréhension malvenue, tachant de mémoriser l'attaque verbale pour une traduction ultérieure. Toutefois, ce serait réducteur de dire que ce texte se consacre uniquement à la guerre. On y croisera également une bonne soeur narratrice, les chevaliers du Graal qui auraient peut-être eu un fils "collectif", etc.


Bien que totalement irrationnelle, cette histoire déjantée fonctionne grâce à la plume de Calvino qui fait des merveilles. En tournant au ridicule la guerre, il en fait une critique piquante et mordante, maquillée sous des propos souvent hilarants. Signalons que les éditions Folio vont rééditer l'ensemble de son oeuvre, excellente initiative donc. 


vendredi 16 novembre 2012

Le souilleur de femmes d'Oxford - Gary Dexter



Auteur : Gary Dexter (ANG)
Titre : Le souilleur de femmes d'Oxford
Editions Le dilettante
Parution : 2012 (VO, 2008)


Le sexe, en ce moment, c'est la mode. On s'arrache en librairie le roman sado-maso "Cinquante nuances de Grey" tandis que dans la foulée débarque "Dévoile-moi" d'une certaine Sylvia Day. L'éditeur nous présente cette romance érotique comme un phénomène mondial. Diable ! Et ce n'est que le début d'une vague annoncée. Nous avons choisi de laisser de côté ces pacotilles qui se vendent toutes seules pour nous pencher sur un recueil beaucoup plus confidentiel, à la fois érudit et décalé, d'un enquêteur maître ès sexologie, dont la teneur nous a semblé particulièrement intrigante. Nous en profitons également pour saluer la sensationnelle couverture.


Ce recueil se compose de huit nouvelles ayant pour fil conducteur les perversions sexuelles. Le sexologue Henry St-Liver mène des enquêtes en compagnie de son assistante, Olive Salter. Celle-ci prend des notes afin de publier les aventures du détective, elle qui manie honorablement la plume (son roman est paru récemment). Nous commençons par les deux nouvelles les plus faibles : le texte qui ouvre le bal s'apparente plus à une mise en bouche (si vous me passez l'expression) pour narrer les circonstances de la rencontre entre St-Liver et Miss Salter. Le flabellum manquant évoque un vol dans une chapelle derrière lequel se dissimule une supercherie d'une tout autre nature. Si elle n'est pas très prenante, elle a le mérite de mettre dans l'ambiance. Le jeune explorateur intègre dans son intrigue Oscar Wilde (emprisonné pour homosexualité). Un jeune homme noir a été kidnappé dans son hôtel et toutes les traces de sa présence ont été effacées. Un texte de qualité assez moyenne. La nouvelle qui donne son titre au recueil, Le souilleur de femmes d'Oxford, monte d'un cran. On assiste à plusieurs agressions de filles dans un collège, qui se font couper une mèche de cheveux avant que l'homme ne s'écrie "Yoyo !" Ce nom correspond à celui d'un babouin appartenant à un individu antipathique. Le dénouement nous surprend, surtout par son humanité. Dans Le client bien né, un lord demande l'aide du célèbre sexologue afin d'éviter un scandale. Car il doit se marier prochainement mais à la fâcheuse habitude de ne pouvoir s'empêcher de s'exhiber dans les églises. Il redoute un scandale retentissant. Le travestissement est au centre du récit Smith Ely Jelliffe dans lequel un homme adore s'habiller en femme. Il parvenait toujours à le cacher au monde extérieur jusqu'au jour où il reçoit une lettre de chantage. Là encore, une excellente aventure vicieuse. Les sept bobines nous convoque dans un couvent où des bobines ont été subtilisées. Et pourtant, le (ou la) coupable ne pensait pas à mal, bien au contraire. Inattendu et plutôt drôle. Le dernier texte, Le voleur de Potchefstroom, fait intervenir le frère jumeau de St-Liver. Il revient à l'improviste de cinq années d'incarcération en Afrique du Sud pour le vol de jambes de bois !!!!! Il tomba sous le charme d'une missionnaire qui lui promis sa main à sa sortie. Mais celle-ci s'envola sans donner de nouvelles. Un bon texte. Et enfin, Le gourmet sous contrat, de loin la plus marquante et la plus écoeurante de toutes. Un jeune qui vient de se faire licencié sans réel motif accepte une étrange proposition : prendre le petit déjeuner tout les jours gratuitement dans un restaurant, mais à condition de rester sur place jusqu'à 17h. La révélation est simplement stupéfiante.

Dexter eut l'idée de ces nouvelles en lisant les essais de psychologues et/ou sexologues alllemands tels que K.H. Ulrichs, Magnus Hirschfeld, Iwan Bloch, Albert Moll et essentiellement du médecin britannique Havelock Ellis. Il mentionne également l'imposant et désormais ouvrage classique "Psychopathia sexualis" du psychiatre austro-hongrois Richard von Krafft-Ebing. L'érudition ne s'arrête pas là puisque dans les textes, il cite pèle-mêle, le marquis de Sade, Sappho, ou encore l'anatomiste Max Fürbringer. Nous émettons quelques réserves sur la présence souvent dispensable de passages qui n'apportent rien au récit (comme l'asthme de Miss Salter, sa fatigue, ou des descriptions inutiles). L'écriture n'est donc pas pleinement maîtrisée, mais étant donné qu'il s'agit de son premier "roman", on lui pardonne ces quelques maladresses.


"Le souilleur de femmes d'Oxford" se démarque par sa démarche ambitieuse sans substituer le divertissement à l'étalage de connaissances qui auraient pu devenir barbantes dans le cadre d'un texte littéraire. Par l'intermédiaire de son enquêteur, Gary Dexter fait preuve de beaucoup d'empathie à l'égard des personnes commettant ces "dérives" sexuelles, ne jugeant jamais, ni n'accablant. Après tout, comme le dit si bien Balzac dans "La peau de chagrin", "un homme est bien fort quand il s'avoue sa faiblesse". 

mardi 13 novembre 2012

J'en fais mon affaire - Mario Levrero



Auteur : Mario Levrero (Uruguay)
Titre : J'en fais mon affaire
Editions L'arbre vengeur
Parution : 2012 (VO, 1998)


Les éditions L'arbre vengeur publient de temps à autre des auteurs sud-américains inconnus mais dignes de l'être, à l'instar de l'excellent Rafael Pinedo dont nous vous recommandons son roman au titre évocateur, "Plop". Ils continuent donc à creuser avec l’uruguayen Mario Levrero avec ce livre plaisant sans être totalement convaincant. 


L'angoisse de l'auteur (ou présumé tel), c'est - au-delà de la page blanche -  d'écrire de bons romans, mais. Ce mais qui provoque l'irritation, qui le blesse dans son ego, car son bouquin n'est pas dénué de qualités, simplement il manque la petite étincelle le faisant basculer dans les textes publiables. Notre auteur n'est pas en reste puisqu'on lui propose, contre deux milles dollars (ce qui représente une somme en Uruguay) pour mener une enquête. En effet, un manuscrit époustouflant à atterrit sur le bureau de l'éditeur, cependant son auteur, un dénommé Juan Perez, est introuvable pour signer un contrat. L'écrivain "raté" accepte et part dans une ville paumée où il rencontre des personnages excentriques comme son ancien camarade de classe qui lui piquait ses crayons (le petit salopard) mais il prend sur lui bien qu'il ne puisse l'encadrer, ou encore un homme bizarre dont le regard poétique et décalé sur le monde ne laisse pas indifférent.  

Ce voyage nous propose une galerie de personnages hauts en couleurs, touchants, drôles, énervants, ou intrigants. A travers cette quête non dénuée d'embûches, l'écrivain trouvera bien plus que ce qu'il venait chercher. Car le chemin est plus important que le but, en s'enrichissant de nouvelles expériences. Pour citer un proverbe peul, "l'initiation commence au berceau et finit à la tombe". Nous sommes légèrement déçus par le dénouement, nous attendant à une sorte de chausse-trappe encore plus tordu que les gens croisés précédemment. Tel n'est pas le cas, cependant, à sa façon, il conclut l'histoire avec attendrissement. 


"J'en fais mon affaire" s'avère une découverte intéressante, cependant on ne peut s’empêcher d'éprouver une pointe de déception, un sentiment que l'auteur aurait pu mieux faire. Peut-être sommes nous trop exigeants, car ce roman divertissant et astucieux dépasse aisément la médiocrité des publications sans prises de risque.

dimanche 11 novembre 2012

Le bacille - Arnould Galopin



Auteur : Arnould Galopin (FRA)
Titre : Le bacille
Editions L'arbre vengeur
Parution : 2008 (première édition, 1928)


Petit trésor de la fin des années 20 injustement oublié, "Le bacille" allie enquête policière et récit d'anticipation avec brio. L'auteur publia aussi bien des romans pour la jeunesse que des récits de science-fiction et des polars. Il créa le personnage de Ténébras (rival de Fantomas) et fut l'un des premiers à faire un pastiche de Sherlock Holmes dans "L'homme au complet gris".


Dans la ville de Montrouge, un professeur à la Sorbonne (le bactériologiste M. Procas) créer l'émulation chez les femmes, qui assistent en grand nombre à ses cours, essentiellement pour son physique. Lui reste indifférent aux nombreuses avances, en raison d'une nature introvertie. Mais une belle américaine parvient à le séduire. Tout se déroule à merveille jusqu'au jour où il découvre qu'elle le trompe. Une violente émotion provoque sa maladie. En effet, il devient entièrement bleu et ses yeux sont jaunes. Contraint de sortir camouflé, il se sent impuissant et pitoyable, songeant même au suicide. Au début les habitants de son quartier éprouvent de la pitié envers le malheureux, avant que se déchaîne un climat d'une rare férocité puisqu'on le soupçonne d'avoir assassiné un petit garçon qui a disparu. Tout en poursuivant ses recherches scientifiques dans son laboratoire - sa seule raison d'être avec son chien pour unique compagnon - "il éprouvait maintenant pour l'humanité un profond dégoût." Lorsqu'un jour il retrouve dans un ruisseau son chien, la tête écrabouillée, sa haine prend une telle ampleur qu'il ne veut plus qu'une chose. Se venger.

"Le bacille" jongle tout autant sur l'aspect policier, où les habitants se chargent d'épier le supposé criminel nuit et jour, puisque la police estime que les preuves sont insuffisantes. En plus de l'injurier, de le menacer, les commerçants s'allient aussi en ne lui vendant que de l'alimentation de piètre qualité (pour ceux qui daignent encore le servir). L'ancien professeur en souffre terriblement, se terre à son domicile, ne comprenant pas ce qu'on lui reproche, hormis sa monstruosité physique. L'auteur tacle avec virulence le comportement de certains êtres humains, en montrant que le véritable Mal ne se cache pas toujours là où on le croit. Quant-à l'aspect anticipation, il se manifeste dans la dernière partie lorsque Procas cherche un moyen de leur faire payer cette déferlante de haine, ajouté au meurtre de son chien. Le dénouement logique mais tragique est assez poignant.


Replacé dans son contexte, "Le bacille" est un excellent roman qui évoque le bioterrorisme via une intrigue policière. Une fois la lecture entamée, il est difficile de le lâcher tant il est prenant. On espère que cette réédition bienvenue en amènera d'autres.

vendredi 9 novembre 2012

Piotrus - Leo Lipski



Auteur : Leo Lipski (Pologne)
Titre : Piotrus
Editions L'arbre vengeur
Parution : 2008 (VO, 1960)



Ce roman étrange de Leo Lipski, aussi tragique que comique, fut publié en 1960. Il contient quelques éléments autobiographiques allant de sa déportation en U.R.S.S jusqu'à la découverte de l'Iran avec l'armée polonaise. Là-bas, il contracta le typhus. Il se réfugia ensuite en Palestine en 1944, après le massacre de sa famille par les nazis. Son malheur continua lorsqu'il fut victime d'une paralysie grandissante (l'hémiplégie) le condamnant à une profonde solitude et une interminable souffrance.

L'histoire débute au XXès, en l'année 19.., à Tel-Aviv. Sur le marché, un homme se met en vente (vêtements compris), "forcé par les circonstances et certaines dettes morales." Une grosse bonne femme à l'odeur nauséabonde l'achète. Son rôle sera d'occuper les toilettes de sa maison du matin au soir, enfermé à clef, afin de faire déguerpir les deux sous-locataires devenus indésirables. La propriétaire pense à tout puisqu'elle lui remet le premier tome d'une encyclopédie, "Meyers Lexikon", pour ne pas trop s'ennuyer durant ce laps de temps. Mais il n'en a que faire de ce bouquin. Son principal souci est de se protéger de la canicule qui lui donne des coups de soleil. Pour cela, il se contorsionne autour du w-c. De cette manière, il découvre l'emplacement d'un nid de gros cafards. L'homme sombre peu à peu dans la folie et des envies de suicide se manifestent... Lorsque Batia, une peintre et prostituée loufoque de quinze ans (la nièce de cette immonde femme) vient le voir pour l'inciter à quitter "sa cure de pourrissage". Il prend le risque et le voilà embarqué dans des expéditions extravagantes au côté de cette jeune femme, prête à tout pour satisfaire ses désirs. Son goût pour la vie reprend de la consistance. Il pense que "les temps de la prostitution [sont ceux] où règne le calme et la paix." Jusqu'au jour où la prostituée le laisse pour butiner vers d'autres horizons.


"Piotrus" allie une dualité humoristique et tragique. Humoristique parce que la perspective de voir quelqu'un enfermé dans les toilettes sous la coupelle d'une bonne femme sans coeur, le laissant crever de chaud au milieu de cafards est une idée extravagante, totalement folle, admirablement décrite par la plume piquante de Lipski. Le grotesque ne s'arrête pas là pour cette mégère qui condescend néanmoins à le sortir de son trou au bout de plusieurs heures d'ennui et d'agonie, en le promenant comme un bon chien-chien en laisse, le collier autour du cou. Son ravissement est tel qu'il en aboie de joie. Farfelue encore cette improbable consultation auprès d'un docteur (?) qui lui affirme que des perspectives infinies s'offre à lui, puisque l'odieuse femme "a perdu la partie (contre lui), et en rêve par-dessus le marché". En réponse au contre-argument du supplicié relançant le fait qu'elle continue à lui monter dessus, le médecin lui rétorque que c'est "son devoir de souffrir". Cet autre passage dévastateur d'humour noir en renforce son impact : 
"- Lorsque vous aurez connu la vraie saloperie... 
- J'ai été en Russie (déporté) 
- Lorsque vous aurez connu la vraie saloperie, la décomposition morale..."
Un peu à la manière de "Abattoir 5" de Kurt Vonnegut, Lipski parle de sa trajectoire personnelle, douloureuse, tragique jusque dans sa drôlerie. La dernière page où il évoque son agonie n'en est que plus poignante.


Saluons les éditions l'Arbre vengeur pour la publication de ce roman d'un auteur polonais injustement méconnu. Cette pépite d'une noirceur pénétrante au pouvoir comique dévastateur est un coup de maître.



dimanche 4 novembre 2012

L'île de béton - James G. Ballard


Auteur : James Graham Ballard (ANG)
Titre : L'île de béton
Réédition en Livre de poche
Parution : 1979 (VO, 1974)


Publié à la fin des années 70, "L'île de béton" fait partie de la trilogie de béton, au côté de "Crash" et de "I.G.H". Chaque roman peut se lire indépendamment. Ballard y évoque la violence urbaine et son abhorration des voitures.


A Londres, suite à un excès de vitesse, un homme nommé Maitland fait une sortie de la route. Sa jaguar gît défoncée une dizaine de mètres en bas d'un talus, derrière un remblai. Il s'en tire avec quelques commotions. Dans ce trou, l'individu constate qu'il est tombé dans "une sorte d'îlot triangulaire, long de deux cents mètres environ, terrain vague entre trois voies convergentes." Il agite son imper en direction des bretelles pour signaler sa présence, "mais les conducteurs n'avaient d'yeux que pour les panneaux indicateurs et la jonction du périphérique." L'indifférence à son égard de "ce torrent de métal" l'agace. Il grimpe péniblement jusqu'à la barrière de sécurité, mais le flot incessant dans cette voie rapide n'autorisait aucun arrêt, beaucoup trop dangereux. Les "avertisseurs hurlaient" leur furiosité et l'imprudence de cet aventureux piéton. Quelques minutes plus tard, il se fait renversé par un chauffard à la sortie du tunnel, ce dernier n'ayant pas allumé ses phares. Maitland est éjecté de nouveau en bas du trou. Retour à la case départ, cette fois-ci sérieusement touché : "son corps s'était transformé en une mappe-monde de blessures". Pour tenir le coup, il pense à sa femme et à son fils. Quelqu'un va bien finir par le repérer, et la police va être à sa recherche. Quelques heures plus tard, il se réveille en compagnie de deux personnes. Il se dit alors qu'il est sauvé. Un clochard d'une cinquantaine année à moitié aveugle, pas bien malin, et une femme  s'occupe de ces blessures. Au désespoir de Maitland, il n'est pas encore tiré d'affaire, car l'évasion de cette île de malheur n'est pas dans leurs projets.

Ballard  a en horreur les voitures. La circulation en constante augmentation est, à ses yeux, un véritable fléau : "le bourdonnement continu des moteurs imposait sa présence menaçante, et en même temps vaguement rassurante, comme la bande sonore d'un cauchemar familier". L'auteur pointe également l'égoïsme des habitants des villes, ceux-ci n'ayant que faire du malheur d'autrui. Ce clochard simplet en est un exemple frappant, lui qui refuse de quitter ce petit îlot, son seul refuge, dissimulé au "centre de la ville qui l'aliénait". Lui qui a effacé le message d'appel au secours de l'accidenté, car il ne sait ni lire ni écrire, et par conséquent craint le pouvoir des mots. Lorsque Maitland lui tend un billet, le pauvre homme ne sait même pas comment le prendre, car "les gens ne lui ont jamais rien donné, que de la merde". Cet enfermement forcé de Maitland lui donne aussi le temps de réfléchir sur sa vie. La fin poignante du roman laisse planer une part de doute.


Avec "L'île de béton", Ballard a écrit un roman brillant et réfléchit sur l'évolution de notre société. Sa vision  implacable, pessimiste, laisse un impact durable dans l'esprit du lecteur. Signalons enfin que cette oeuvre forte mériterait amplement une réédition en poche. 

vendredi 2 novembre 2012

10 000 litres d'horreur pure - Thomas Gunzig


Auteur : Thomas Gunzig (Belgique)
Titre : 10 000 litres d'horreur pure
Editions Au diable vauvert
Parution : 2007


Troisième roman adulte de Thomas Gunzig, "10 000 livres d'horreur pure" est un hommage au slasher (sous-genre du film d'horreur). Ses deux précédents romans sont "Kuru" et "Mort d'un parfait bilingue". On lui doit aussi plusieurs recueils de nouvelles, dont "Le plus petit zoo du monde". Ce récit assez tordu va basculer dans une dimension fantastico-horrifique complètement frappa-dingue. Accrocheur et jouissif !



Cinq étudiants se rendent dans un bungalow isolé (forcément, hein !), sans réseau téléphonique (sinon, c'est moins drôle), en bordure d'un lac et d'une forêt, pour décompresser après de stressants examens. Certains baisent comme des bestiaux, d'autres se défoncent à la coke (ou les deux), le tout en écoutant Marilyn Manson à s'en faire péter les tympans. Cette maison appartient à la tante de l'un d'eux. Sur place, il avoue au groupe que sa soeur handicapée a disparu en ce lieu, kidnappée, il y a plus de vingt ans. On ne l'a jamais retrouvée depuis. Or, ne pouvant se déplacer seule, la fugue fut exclue, et le mystère demeure entier. Après cette révélation, la soirée festive reprend le dessus  lorsqu'une fille entend un bruit à la fenêtre. Qui n'en a jamais entendu ? Vous savez bien de quoi je veux parler bien sûr, "ces bruits inconnus, les grattements le long des murs, les crissements impossibles à identifier", ce genre de choses qui vous hérissent le poil. La demoiselle aperçoit devant la forêt un homme. Elle demande à son petit ami d'aller voir. C'est le début d'un calvaire glaçant et inimaginable. Cauchemardesque !

Gunzig nous tient admirablement en haleine grâce à un récit efficace et ténébreux qui devient surnaturel dans la seconde moitié. Les chapitres concis alternant l'histoire du point de vue de chacun des cinq compagnons accélèrent la rapidité de la lecture et le côté palpitant. L'auteur ne laisse aucun répit au lecteur, pour notre plus grand plaisir. Il s'amuse aussi en mettant côte à côte des jeunes issues de milieux différents, incapables de se blairer mais bien forcés de le faire, donnant souvent des répliques humoristiques.



"10 000 litres d'horreur pure" est au final un roman divertissant qui se dévore. Il allie une dose d'humour, de fantastique et du gore. En un mot : jubilatoire ! On se dit que si ses autres textes sont du même acabit, on ne tardera pas à y jeter un oeil. Et plutôt deux fois qu'une !









jeudi 1 novembre 2012

Abattoir 5 - Kurt Vonnegut



Auteur : Kurt Vonnegut (USA)
Titre : Abattoir 5
Editions points
Parution : 2004 (VO, 1969)


Kurt Vonnegut est un auteur américain qui fait référence chez les amateurs de science-fiction. En plus de son roman Abattoir 5, on lui doit notamment Le breakfeast du champion, Le berceau du chat et Le pianiste déchaîné.


"C'EST LA VIE."

Durant une émission de télé, Billy Pèlerin prétend avoir été enlevé par une soucoupe volante, en provenance de la planète Tralfamadore. Ces extra-terrestres ont la faculté de voir en quatre dimensions. Ils étudient son comportement durant l'accouplement, entre autres. Via des sauts temporels aléatoires durant sa vie, il plonge dans son passé, même après sa mort. En effet, selon les Tralfamadoriens, "une personne qui meurt semble seulement mourir. Elle continue à vivre dans le passé. [...] Le passé, le présent, le futur ont toujours existé, se perpétueront à jamais." Parmi ses voyages dans le temps, Billy se retrouve durant la seconde guerre mondiale. Vonnegut s’appuie sur son vécu puisqu'il a été engagé puis fait prisonnier à Dresde. Cette ville allemande où il assista depuis son abattoir au bombardement et à l'incendie qui la détruisirent. L'horreur du conflit nous est décrite sur un ton acerbe, à l'humour grinçante. Lui, le soldat se demandant ce qu'il fait au milieu de ce chaos, véritable boulet pour ses compagnons d'infortune, indifférent devant l'idée de périr, se traînant en bondissant au son de "quatre et trois font sept". Vonnegut se sert d'éléments de science-fiction pour recréer un univers et sa personnalité. Il se réfugie dans l'imaginaire en prenant notamment comme personnage secondaire un écrivain de s-f sans succès, qui répond au nom de Kilgore Trout (allusion à l'écrivain Theodore Sturgeon). Le comique achève le roman avec un improbable "Cui cui cui" d'un oiseau entamant un brin de causette  avec Billy.

"C'EST LA VIE."

Un roman profondément pacifiste qui dénonce l'absurdité de la guerre, employant l'ironie et l'humour noire pour témoigner de l'horreur.


vendredi 26 octobre 2012

Vélum - Hal Duncan


Auteur : Hal Duncan (Ecosse)
Titre : Vélum
Editions Denoel
Parution : 2008 (VO, 2005)


Premier roman d'un écossais d'une trentaine d'années, "Vélum" est la première partie d'un dyptique colossal, à tous points de vue. D'une ambition folle, ce monstrueux labyrinthe force l'admiration mais n'empêche pas une pointe d'agacement lorsqu'il égare par instants son humble lecteur, au coeur de ce maelström littéraire.


Selon les Cisterciens, le Livre de Toutes les Heures serait la version maléfique, créée par Lucifer, du Livre de la Vie. Ce grimoire diabolique renferme la totalité des noms des hommes passés, présents, et à venir. Un juif érudit affirme même que ceux qui voient ce livre deviennent fous. Ce qui n'est pas sans rappeler les propriétés d'un autre livre, "Excalibur" (censé appartenir à Ron Hubbard), qui condamne à la folie quiconque ose le parcourir.
Le monde s'est scindé en deux branches d'anges Amortels qui luttent pour la possession du trône laissé vacant par Dieu. D'un côté les Souverains, de l'autre, l'Alliance. Quelques uns refusent de s'engager dans ce conflit, mais sont pourchassés jusque dans le Vélum qui est "une sorte de miroir du monde, ou quelque chose de plus grand qui inclut le monde". De plus, la dimension spatio-temporelle de ce monde contient toutes les histoires possibles, incluant celles qui n'ont pas encore pris corps. En effet, "tout est lié comme des échos et des reflets se répercutant sur une centaine d'années." L'auteur nous transbahute à différentes époques historiques allant de la Mésopotamie (protohistoire) jusqu'au nazisme, en passant entre autre par le vendredi sanglant écossais de 1919. 
L'oeuvre baigne dans de nombreuses influences. On citera par ex. celle de Borges pour le côté labyrinthique et l'érudition divertissante, Lovecraft (à travers le "Macronomicon" de Liebkraft), le Prométhée d'Eschyle,  James Joyce pour la mythologie et la structure cyclique du récit, et pourquoi pas Piotr Ouspenski pour qui l'avenir existe déjà jusque dans ces moindres détails. 
D'un aspect pourtant rebutant en raison de sa construction difficile à saisir (on jongle constamment entre les périodes historiques), le voyage mérite de la persévérance car l'on sent que ce livre sort des sentiers battus. L'écriture nous happe très vite et ne baisse pas de qualité. Il faut cependant noter que des passages sont assez obscurs et nous laissent perplexes, mais le découragement ne doit pas vous freiner.


"Vélum" est un roman qui demande une implication totale du lecteur s'il ne veut pas se faire larguer en route. En dépit d'une certaine incompréhension épisodique, nul doute que ce récit ambitieux et complexe provoque l'enthousiasme. En cette période où le nivellement par le bas fait foison, il est réjouissant de voir ce genre d'ouvrages (encore) publiés. L'autre bonne nouvelle est que si votre porte-monnaie fait grise mine, les deux tomes sont sortis en poche. Vous n'avez donc plus aucune excuse pour ne pas vous les procurer.


vendredi 19 octobre 2012

La guerre des mondes - H.G. Wells



Auteur : Herbert George Wells (ANG)
Titre : La guerre des mondes
Réédition de 2012 dans la coll. Folio
Publication originale : 1898


Considéré comme un des pères fondateurs de la science-fiction aux côtés de Jules Verne, Wells publia à la fin du XIXè s un récit devenu un classique incontournable, évoquant l'invasion de notre belle planète par des entités extra-terrestres.


Un cylindre artificiel provenant du ciel s'est écrasé aux environs de Winchester en Angleterre. Cette "Chose" viendrait de Mars selon certains. Bientôt la Chose se dresse sur trois immenses pieds lui donnant la taille de quatre à cinq maisons empilées les unes sur les autres. De longs tentacules sortent également de cet engin métallique mouvant. Rapidement, les intentions des extra-terrestres ne laissent planer aucun doute : exterminer les humains. Pour cela, un puissant rayon ardent détruit tout et tue sans pitié. 
D'autres tripodes apparaissent, et se dirigent sur Londres...

Wells prend soin de décrire minutieusement les tripodes : leurs critères physiques, leur organisme (ils sont dépourvu de système digestif, le sommeil leur est inutile, la pesanteur et la densité atmosphérique provoquent des gênes respiratoires). Wells tacle aussi au passage l'arrogance et la vanité humaines, persuadés que nous sommes seuls dans l'univers. Toute idée d'une intelligence supérieure d'origine extra-terrestre est exclue. L'auteur met en avant une civilisation très avancée qui en massacre une autre, pour prendre son espace vital et ses ressources naturelles. Via cette parabole, Wells dénonce les ravages du colonialisme. 
Le dénouement judicieux, mais pour ma part, totalement inattendu, conclut habilement le roman. 
J'émets toutefois une petite réserve sur l'histoire à laquelle j'ai eu par moment du mal à m'accrocher, ne me sentant pas complètement immergé et concerné par les évènements.


Tout à déjà été dit sur cette oeuvre qui devrait figurer dans toutes les bibliothèques. Il en va de même pour les trois autres classiques de l'écrivain que sont "L'homme invisible", "L'île du Dr Moreau" et "La machine à explorer le temps".

dimanche 14 octobre 2012

Le joueur d'échecs - Stefan Zweig


Auteur : Stefan Zweig (Autriche)
Titre : Le joueur d'échecs
Editions Le livre de poche
Parution : 1991 (VO, 1943, à titre posthume)


"Le joueur d'échecs" paru l'année suivant la mort de Zweig,  alors qu'il était en exil au Brésil pour fuir la seconde guerre mondiale. Épuisé par le conflit et impuissant devant l'agonie du monde, il choisit de se suicider en 1942.

Cette longue nouvelle oppose deux esprits durant une partie d'échecs sur un bateau. Le premier est le champion du monde en titre, un yougoslave nommé Czentovic. C'est à 15 ans qu'il se découvre un talent inné pour les échecs. En dehors de ça, c'est un être mollasson, dépourvu de culture générale, replié sur lui-même dès que l'on veut lui tirer les vers du nez. Imbu de lui-même puisqu'il écrase tous ses rivaux, "il se croyait le personnage le plus important de l'humanité", mais "il ne soupçonne pas qu'il y a d'autres valeurs en ce monde que les échecs et l'argent, il a (par conséquent) toutes les raisons d'être enchanté de lui-même."
Il possède néanmoins une certaine forme d'intelligence, car le hasard n'a aucune place dans ce jeu profondément stratégique et tactique. En effet, Czentovic a appris "les finesses, les ruses subtiles de l'attaque et de la défense, la technique de l'anticipation, de la combinaison et de la riposte.
Face au champion du monde, un illustre inconnu (appellé M. B) va mettre à mal cette insolente domination. 
Ce M. B raconte son histoire à un passager, et la raison pour laquelle il fut intéressé par le déroulement d'une partie en cours sur le bateau (Czentovic opposé à un groupe de plusieurs joueurs moyens). Il fut emprisonné durant plusieurs mois par la Gestapo, subissant de nombreux interrogatoires. La solitude lui pesait énormément lorsqu'il eu l'habileté de dérober un livre dans la poche d'un gardien. Telle ne fut pas sa déception en constatant que ce n'était qu'un manuel d'échecs, regroupant une centaine de parties d'échecs jouées par des maîtres. Histoire de s'occuper l'esprit pour ne pas sombrer dans la folie, il se confectionne un échiquier avec son drap et façonne les pièces avec de la mie de pain. M. B joue et rejoue les exemples, jusqu'à les connaître par coeur. L'ennui réapparaît devant la routine. Il joue alors contre lui-même, ce qui est une aberration puisque le même cerveau réfléchit pour deux. Comment ne pas prévoir ce que l'autre à en tête ? C'est impossible ou de la schizophrénie. Poussé dans des réflexions infinies, le détenu plonge inéluctablement dans la folie. Une vingtaine d'années plus tard, sur le bateau, M. B voit son traumatisme resurgir, car le corps se souvient...

Cette petite pépite percutante évoque les traumatismes du nazisme (ici via la torture mentale) qui conduisent à la folie d'un individu. Le point de vue psychologique de l'ancien détenu est particulièrement poignant dans son cheminement. Un grand bouquin qui donne matière à réflexion.

vendredi 12 octobre 2012

Les trente-neuf marches - John Buchan



Auteur : John Buchan (Ecosse)
Titre : Les trente-neuf marches
Editions Le masque
Réédition de 2012 (VO, 1915)


En plus de l'écriture, John Buchan exerça le métier d'avocat, de journaliste, et travailla dans le monde de l'édition. Il entra dans les services secrets britanniques en 1916, se fit élire au parlement en 1927 puis devint gouverneur général du Canada en 1935. Sa célébrité vint de son roman "Les trente-neuf marches" (premier volet de la série Richard Hannay qui comprend cinq tomes), renforcée par l'adaptation du cinéaste Alfred Hitchcock.


Signalons d'emblée l'invraisemblance de la couverture, car si dans le film Richard Hannay se retrouve aux côtés d'une ravissante blonde, tous deux menottés l'un à l'autre, en revanche le roman ne parle aucunement de cette rencontre. A noter d'ailleurs que si le film conserve le fil sous-jacent de l'intrigue (c'est le minimum pour une adaptation^^), les péripéties du personnage sont totalement différentes, ce qui n'empêche pas leur réussite respective.

Hannay se morfond en Angleterre en ce mois de mai 1914, de retour d'un séjour en Rhodésie (devenue le Zimbabwe) où il était ingénieur. Un inconnu se présente un soir à sa porte, lui demandant de l'héberger car sa vie est menacée. Cet homme lui présente dans les grandes lignes la préparation d'un meurtre diabolique, orchestré par une organisation secrète allemande, "La Pierre-Noire", dans le but de mettre l'Europe à feu et à sang. Quelques heures plus tard, de retour à son domicile alors qu'il s'était absenté, Hannay tombe nez-à-nez avec le cadavre de son hôte, poignardé.
Il n'a d'autre choix que de fuir, puisque la police ne sera pas forcément réceptive au discours tenu par le défunt, même à l'appui d'un carnet remplit de notes. Il décide donc de poursuivre la mission, pour pimenter son quotidien. Il sait qu'un homme risque d'être assassiné durant une conférence d'ici une vingtaine de jours. 
Avant de prévenir le gouvernement, il est contraint à se cacher dans la lande, pour échapper aux agents à ses trousses. Ceux-ci sont des experts, et l'étau ne tarde pas à se resserrer...

John Buchan nous propose un récit d'espionnage aux rebondissements multiples, avec en toile de fond la menace d'une guerre imminente. C'est aussi la naissance d'un homme (Richard Hannay) habile pour mener sa barque dans les eaux tourmentées. L'art du camouflage (en laitier, en cantonnier, etc.) y joue un rôle primordiale. En effet, se fondre dans un milieu qui lui est étranger, et se mettre dans la peau d'un emploi qui l'est tout autant sont la clef de son succès. Mieux qu'imiter, il s'agit d'être tout aussi crédible afin de parfaire le simulacre. La plume de l'auteur ne brille pas particulièrement par sa richesse, mais sa limpidité nous fait passer un très bon moment.


Ce premier tome des aventures de Richard Hannay, trépidant et astucieux, donne l'envie de lire la suite avec enthousiasme. Pour cela, il faudra attendre les rééditions en poche ou vous procurer l'omnibus regroupant toute la série, si vous n'êtes pas réfractaire comme moi, aux pavés de plus de mille pages.


mercredi 3 octobre 2012

Le jour des Triffides - John Wyndham




Auteur : John Wyndham (Angleterre)
Titre : le jour des triffides
Parution : 2005 (1951 pour la VO)
Réédition chez Terre de brume


Lorsque l’on mentionne les auteurs classiques de la science-fiction, John Wyndham n’arrive pas souvent dans les premiers noms cités. Cependant, avec ce brillant roman datant du début des années 50, il occupe une place de choix dans les récits de fin du monde.


Une nuit, la Terre est arrosée par une pluie de météorites verts. Tous les habitants assistent à ce merveilleux spectacle sans se douter de ce qui les attend.  En effet, le lendemain au réveil la quasi-totalité de la population est aveugle. Les rares individus qui n’ont pas observé le phénomène sont des miraculés. C’est le cas par exemple de William Masen qui, victime d’un accident (une piqûre de triffide), se trouvait à l’hôpital avec le visage entièrement bandé.

Les triffides sont des plantes d’origine obscure (William pense à une manipulation génétique accidentelle) importés par un pilote qui apporta des semences à la compagnie Arctique et Européenne des huiles de pêche. Elles sont intrigantes de par leur aspect, mieux elles peuvent se déplacer à un rythme équivalent d’un homme qui marche. Elles sont dangereuses voire mortelles étant donné qu’elles peuvent empoisonner les humains avec une spire qu’elles utilisent comme un fouet. Pour les rendre inoffensives il faut couper leur spire. Elles se nourrissent d’insectes et de chair en état de décomposition. Elles possèdent une forme d’intelligence dans la façon de s’attaquer à leurs proies.

L’humanité privée d’un de ses sens majeurs, quasi indispensable pour survivre, tente de s’organiser dans le chaos ambiant. Des petits groupes se forment avec à leur tête ceux qui ont le luxe de voir. L’électricité est coupée à long terme et il est urgent de trouver de la nourriture.
On évoque déjà une solution de secours. Faire des enfants… massivement.



Ce roman post-apocalyptique qui évoque la survie de l’espèce humaine suite à un événement exceptionnel, la nécessité de construire une société autre, et dans une moindre mesure la confrontation entre le règne animal et le règne végétal, place « Le jour des Triffides » comme un classique dans l’histoire de la science-fiction.  

jeudi 27 septembre 2012

Etrange suicide dans une Fiat rouge à faible kilométrage - L.C. Tyler



Auteur : L.C. Tyler (ANG)
Titre : Etrange suicide dans une Fiat rouge à faible kilométrage
Editions Sonatine
Parution : 2012 (VO, 2007)


Les éditions Sonatine ont souvent été associées à la découverte d'auteurs de polars, talentueux : Ellory, Pobi, Cleave, S. Stevens, entre autres. Cependant, je constate que depuis quelques temps, la qualité des publications baisse chez cet éditeur. Mon sentiment s'est renforcé avec ce titre très "tape à l'oeil" qui, s'il se lit plaisamment, ne restera pas gravé bien longtemps dans ma mémoire (hormis le titre).


Ecrivain sans grand talent, Ethelred Tressider publie sous trois pseudos des polars et des romans à l'eau de rose. Son agent, une vieille peau au caractère bien trempé, n'hésite pas à lui dire ses quatre vérités quant à la qualité de son oeuvre : "c'est de la merde !" Divorcé depuis plusieurs années, Ethelred apprend la disparition de son ex-femme. La piste du suicide est privilégiée car elle a laissé une lettre d'adieu dans sa voiture de location. Vous avez deviné de quelle voiture il s'agit.  Cependant, un élément sonne faux dans ce soi-disant suicide car son ex-épouse a extorqué de l'argent à plusieurs personnes de son entourage. Ethelred,  avec l'incitation de son agent, mène l'enquête à ses côtés. Quelques jours plus tard, l'écrivain apprend qu'un corps à été retrouvé, étranglé. Il se rend sur place pour l’authentification. Dans son esprit, aucun doute n'est possible...

Sans être particulièrement captivant, ce polar vaut surtout par le duo d'enquêteurs amateurs (agent/auteur de polars), avec cette vieille bique qui lui en fait voir de toutes les couleurs et ne le prend pas avec des pincettes. Cela à le mérite de le remuer, puisqu'il est blasé par la vie. Ajouté à cela que son inspiration est allée se faire foutre ces derniers temps, concernant l'écriture de son polar en cours.
Le livre manque de profondeur et d'ambition à mon goût, et plus gênant, j'ai compris assez vite plusieurs éléments clés, rendant le dénouement sans grande surprise. Je considère ce polar comme une lecture divertissante, de seconde zone. Sympathique, mais sans plus.


Ce polar est agréable à lire, mais il n'arrive pas au niveau des auteurs cités plus haut. Je doute qu'il satisfasse le plus grand nombre des lecteurs, puisque le sentiment du "Peut mieux faire !", l'emporte. Les éditions Sonatine sont-elles en perte de vitesse ? Nul doute que dernièrement, leurs choix sont moins inspirés. 

vendredi 14 septembre 2012

Soap apocryphe - Pacôme Thiellement



Auteur : Pacôme Thiellement (FRA)
Titre : Soap apocryphe
Editions Inculte
Parution : 2012


Pacôme Thiellement est un essayiste qui a écrit sur la musique (Zappa, Led Zeppelin), le cinéma (Lynch), la télévision (série Lost), entre autres choses. Avec "Soap apocryphe", il publie son premier roman dont l'aspect n'est pas sans rappeler le jouissif "Vies de saints" de Rodrigo Fresan. L'univers y est tout autant barré, et on se demande bien dans quoi on va se faire embarquer.


Leon Tzinmann et sa troupe forment une belle bande de vainqueurs. Ces étudiants bobos fiers de leur petite personne et de leurs connaissances se sont lancés un défi de taille à relever. A savoir, rééditer et augmenter le livre "Contre Clément" du gnostique Soruh d'Alexandrie, datant du Vè siècle, celui-ci narrant comment le christianisme supplanta la magie. Cet ouvrage sera "un antidote au dénigrement universel des hommes les uns par les autres". La thèse de cet hérétique consiste à affirmer que Jésus-Christ n'a sauvé qu'une partie de l'humanité (les élus), le reste (c'-à-d nous) aurait du être sauvé par Romuald, le frère jumeau du christ. Manque de bol, celui-ci décéda en couche. 
Leon s'est séparé (mais pas vraiment en fait) de l'actrice Pauline Jacques, qui va mener à bien une fracassante carrière politique. 

Mené sous une plume décalée et réjouissante, ce récit fantasque en met plein la tronche à tous ces connards incultes persuadés de détenir la Vérité, à l'instar du leader Léon, soucieux d'"imposer magiquement son existence au reste du monde." La religion d'une manière générale en prend pour son grade, entre les cathares, le gnosticisme, ou ce prêtre pédophile. Pour les amateurs de question métaphysique, Pacôme leur soumet la question suivante à méditer : "Est-ce que lorsque l'anti-âme se défragmente, l'âme, elle, s'unit ?" Quelques cocktails de vodka-fraise-kiwi seront probablement favorables à l'Illumination.
L'auteur fait également un clin d'oeil à P.K. Dick : "Est-ce que les androïdes vomissent de la bile électrique ?" et aux Beatles à travers deux sosies, etc.


Ce joyeux bordel qui ne se prend surtout pas au sérieux est un passage réussit pour l'auteur. Nous attendons au tournant le prochain roman de Thiellement, en souhaitant qu'il soit plus maîtrisé, disons à peine moins foutraque. En ces temps de morosité ambiante, "Soap apocryphe" fait du bien, et c'est déjà beaucoup.

lundi 10 septembre 2012

Satellite sisters - Maurice Dantec


Auteur : Maurice Dantec (FRA)
Titre : Satellite sisters
Editions Ring
Parution : 2012

Annoncé comme son roman le plus abouti, doté d'une superbe couverture de Liberatore, suite de Babylon Babies (mais pouvant se lire indépendamment), tous les ingrédients semblaient réunis pour le Grand Retour de Méta-Maurice. Le bide n'en est que plus retentissant.

Dantec s'est révélé au grand public avec "Les racines du mal" et a confirmé avec "Babylon babies". A partir de là, il commence à déjanter sévère avec "Villa vortex", compréhensible jusqu'à la 700ème page avant de basculer dans du grand portenawak. Son verbiage fumeux s'intensifie avec "Cosmos incorporated". "Grande jonction" marque un retour notable, tout comme son précédent "Métacortex" (que je n'ai pas encore lu).

De quoi parle "Satellite sisters" ? Heureusement que la quatrième de couverture est là pour nous le préciser, car je n'ai jamais rien lu d'aussi ardu/complexe/fumeux. Dantec assomme son lecteur de son (pseudo)savoir, à coups de vocabulaire scientifique et technique pointus, qui dessert l'écriture au lieu de la bonifier, rendant la lecture indigeste. Au milieu de ce méta-langage, de cette néonarration (suis-je en train de lire un livre-mutant ? Ce Livre utilisé comme Arme ?) enguirlandée de mots en Majuscules-Monde, des éléments se dégagent : une île sur laquelle une "surmachine naturelle, trinaire : cyborg/génétique-lumière/transtechnologies s'est upgradée elle-même" (c'est cool pour elle) ; une plante-Codex dont le développement cognitif évolue au contact des deux jumelles ; des bureaucrates scientifiques internationaux qui veulent créer un système de contrôle global neuro-implanté dans chaque être humain d'ici une quinzaine d'années ; la notion de singularité, c'-à-d que en deux mots la civilisation humaine connaîtra une croissance technologique d'un ordre supérieur (ex: les I.A.) ; ou encore Richard Branson et sa société de tourisme spatial, Virgin Galactic.

J'étais déterminé à aller jusqu'au bout mais ai finalement arrêté à moins de 250p. Sage décision. C'est une perte de temps. La schizonarration et son processus cosmonarratif m'ont laminé. Un personnage interroge un autre à ce propos : "Pourquoi et surtout comment la cosmonarration reste ouverte la plupart du temps mais se referme en cône rétrofuturiste par le Quadrant à des moments choisis ?" C'est vrai ça ! Pourquoi ? Hein, dis ?
Assembler une succession de mots complexes n'est pas synonyme de chef-d'oeuvre. C'est tellement froid que l'on a l'impression que c'est une machine pensante qui a écrit le texte. Les personnages n'ont pas l'ombre d'une épaisseur psychologique. Est-ce pour masquer son manque d'idées que Dantec s'est camouflé derrière cette écriture parasite ? Pour impressionner ? J'ose espérer que son nouvel éditeur avec lequel il a un contrat de dix ans, saura remettre sur de bons rails l'auteur, sans quoi il finira par perdre ses derniers adeptes.

Austère, quasiment illisible, dénué de sens romanesque, "Satellite sisters" se démarque de cette rentrée en s'affichant comme la plus belle fumisterie littéraire. A bon entendeur, salut !


vendredi 31 août 2012

Le perroquet qui begayait - Alfred Hitchcock


Auteur : Alfred Hitchcock (ANG)
Titre : Le perroquet qui begayait
Editions Le livre de poche jeunesse (2008)
Parution originale : 1964


Connu comme étant l'un des plus grands cinéastes de tous les temps, c'est avec une surprise non feinte que je découvris qu'il avait prit la plume pour des nouvelles et pour des romans destinés à la jeunesse. Mais mon bonheur fut de courte durée, et la déception à hauteur de cette supercherie commerciale.


Car il y a bien une tromperie envers le consommateur. La première couverture mentionne Alfred Hitchcock, et son nom est également en majuscules sur la tranche. Il n'y a donc pas de doute possible, c'est bien du Hitchcock que je m'apprêtais à lire. Or, Hitchcock a uniquement prêté son nom à la série en question, mais n'est en aucun cas son auteur. Je trouve ce procédé très malhonnête, puisqu'il s'agit ni plus ni moins que de tirer profit en se servant d'une célébrité, destiné à booster les ventes. Ils auraient du préciser en couverture par ex. "Alfred Hitchcock présente...". Je me suis fait pigeonner, et cela me servira de leçon.

Quid de l'histoire, donc ? Ecrite par un ou plusieurs anonyme(s) ? Le mystère demeure entier. Bref, passons. L'histoire se déroule à Hollywood. Trois ados ont monté une agence de détectives et sont sur leur première enquête. Un acteur adepte du théâtre shakespearien  a perdu son perroquet. Dit comme ça, je ne vous vend pas du rêve. La suite des évènements devient vite intrigante et trépidante. Au domicile de l'acteur, l'homme qui les a reçu prétend avoir reçu un coup de téléphone d'Alfred Hitchcock afin de l'avertir de leur visite. Or, en quittant le domicile, les détectives constatent l'absence de fils téléphoniques reliant la maison. De plus, ceux-ci ont entendu des appels à l'aide, mais leur hôte affirma qu'il s'agissait du perroquet revenu un peu plus tôt. L'individu quitte les lieux pendant que les jeunes y retournent. Là-bas, ils trouvent le véritable acteur, ligoté. Ce perroquet très convoité n'est que le premier des 7 vendus par un mexicain. Tous possèdent des noms peu communs, et répètent une même phrase bien énigmatique...

D'une grande limpidité, cette enquête truffée d'humour et de malice se lit d'une traite. Les trois apprentis détectives brillent d'inventivité et de perspicacité. Les polars pour la jeunesse étant loin d'être légion, c'est une excellente entrée en la matière.


Si je n'ai rien à redire sur les qualités intrinsèques de l'oeuvre, c'est plus à propos de la duperie de l'éditeur que j'émets une grosse réserve, pour les raisons évoquées plus haut. De ce fait, j'aurai beaucoup de mal à conseiller ce livre, car la pilule ne passera pas de si tôt.


mardi 28 août 2012

La guerre des boutons - Louis Pergaud




Auteur : Louis Pergaud (FRA)
Titre : La guerre des boutons
Editions Folio junior
Première parution : 1912


Deux villages de Franche-Comté se font une guerre sans merci depuis des générations. D’un côté les Velrans, de l’autre, les Longeverne.
Agés d’une douzaine d’années, les gosses s’insultent copieusement et se ridiculisent à qui mieux mieux. Lorsqu’un jour, les Velrans font prisonnier un « ennemi » et lui chipent tous les boutons de ses habits. De retour au bercail, il prend une bonne dérouillée par ses vieux. L’heure de la vengeance ne tarde pas à sonner…


Au-delà du simple conflit entre deux bandes villageoises de pré-adolescents, « La guerre des boutons » est avant tout une formidable aventure humaine, une école de la vie. Chacun des jeunes des deux clans façonnent leur personnalité, leur identité, au sein du groupe. Ces groupes qui, à l’instar de toute société, possède leur propre hiérarchie. La solidarité, la complicité, le soutien dans les moments rudes, sont autant de qualité requises pour les faire vivre et avancer devant l’épreuve. Ils doivent non seulement lutter contre l’autre bourgade, mais aussi subir (et donc éviter au possible) les roustes des parents. Bien que cette guerre soit « juvénile », elle n’en demeure pas moins d’une grande cruauté : violences verbales et physiques (jets de cailloux, coups de trique, coups de poings et de pieds, tortures, etc.) et autres humiliations (crachats, habits souillés…). C’est aussi un hymne à l’amitié, au partage de certaines valeurs. Pergaud n’épargne pas ses jeunes lecteurs via un langage qui est parfois très dur, les préparant ainsi aux vicissitudes d’une vie.


Nous faisant passer par toutes les émotions, « La guerre des boutons » est un récit poignant et percutant, entrecoupé de moments drôles pour détendre l'atmosphère, que nous conseillons à partir de 12 ans. 

mercredi 15 août 2012

Babe, le cochon devenu berger - Dick King-Smith


Auteur : Dick King-Smith (ANG)
Titre : Babe, le cochon devenu berger
Edition Folio junior
Parution 1986 (VO, 1983)

Revenu blessé de la seconde guerre mondiale, King-Smith s'occupe de la ferme familiale à partir de 1947. Sa passion pour les animaux depuis son enfance s'en trouve renforcée. A la fin des années 60, il enchaîne plusieurs métiers. Vers 1975, il devient instituteur dans une école primaire. Ses élèves l'incitent à prendre la plume. Pas moins de cent romans verront le jour. "Babe, le cochon devenu berger", publiée en 1983, est assurément une de ses plus belles réussites.


Durant une foire, un fermier tente sa chance à un jeu : celui qui devine le poids exact d'un cochon, en misant dix pence, en sera l'heureux propriétaire. Lui qui ne gagne jamais rien voit sa chance tournée. 
De retour à la ferme, le petit cochon fait la connaissance de Ficelle, la chienne du berger, et de ses quatre chiots qu'elle forme pour qu'ils le deviennent à leur tour, auprès d'autres fermiers. Attristé de l'absence de sa maman, Babe touche la chienne qui le prend sous son aile. Après tout, il n'est peut-être pas aussi stupide que ces abrutis de moutons qui confondent un chien et un loup. 
En dépit d'une relation laborieuse au début, Babe commence à saisir la technique du chien de berger. Alors, pourquoi ne pas devenir lui aussi un "cochon" de berger ? Idée saugrenue ? Pas si sûr, puisque Babe progresse vite, et manie l'art oratoire auprès des moutons avec maestria, au grand bonheur de ceux-ci, flattés de leur traitement. De la politesse et de la douceur peuvent faire bon ménage au sein d'un troupeau. Cela change effectivement des manières brutales et condescendantes de la chienne Ficelle...


Rempli de finesse et de délicatesse, ce récit procure un plaisir de lecture immense. Sous couvert d'une histoire assez improbable, mais qui passe comme une lettre à la poste, l'auteur invite ces jeunes lecteurs (mais aussi les grands) à la notion de tolérance. Traiter autrui avec cruauté, barbarie, insolence, sans avoir pris la peine de les connaître, rendent ceux qui agissent de la sorte tout autant stupides que ceux qu'ils maltraitent et jugent tel quel. A noter un petit bémol néanmoins concernant la fin dépourvue de surprise, cependant, ne faisons pas la fine bouche, c'est un délice à mettre entre toutes les mains. 

lundi 13 août 2012

Le tour du cadran - Leo Perutz



Auteur : Leo Perutz (Autriche)
Titre : Le tour du cadran
Réédition Bourgois
Parution : 2012 (VO, 1918)

Troisième roman, publié en 1918, d'un des plus grands maîtres de la littérature autrichienne, l'oeuvre de Leo Perutz brille tant par la finesse de l'écriture que par la qualité des intrigues. On le rapproche régulièrement du non moins louable Gustav Meyrink. "Le tour du cadran" inspira les cinéastes Murnau et Hitchcock, excusez du peu.


En vingt chapitres, Perutz nous raconte la fuite d'un fugitif (Stanislas Demba) qui a échappé à la vigilance des policiers. Il venait de se faire arrêter pour le vol de trois livres d'une bibliothèque, qu'il a revendu suite à des problèmes financiers. Menotté, le jeune homme se retrouve confronté à des situations tantôt loufoques, tantôt périlleuses. En effet, camoufler ses mains enchaînées sous un vieux pardessus ne facilite pas les choses. Rien que le fait de se nourrir devant quelqu'un s'avère impossible. Saisir des objets, serrer la main, et ainsi de suite. Trouver une solution va devenir vital puisque ce délit de fuite, venant s'ajouter au vol, lui ferait passer un sale quart d'heure...
Perutz manie élégamment sa plume tout le long du récit et parvient aisément à rendre sympathique au lecteur cet homme hors-la loi, ayant commis un délit "mineur". Les dialogues ciselés font mouches à tous les coups et l'on se demande durant combien de temps encore ce Demba va bien pouvoir duper son monde. Car il a assurément plus d'un tour dans son sac et joue habilement la comédie. Là se trouve le tour de force de l'auteur, en nous tenant en haleine sur 250p à partir d'un fait si mince.  On a peur pour lui, on s'amuse de ses pitreries, et surtout on espère qu'il va s'en tirer, ce personnage terriblement attachant.


Rondement mené, très prenant et souvent drôle, "Le tour du cadran" vous réjouira sans l'ombre d'un doute. Si vous n'avez jamais lu cet auteur, il y a fort à parier que vous souhaiterez découvrir d'autres de ses livres.
Bonne lecture !