lundi 30 janvier 2012

Livre de sang 1 - Clive Barker

Auteur : Clive Barker (ANG)
Titre : Livre de sang T1
Editions J'ai lu
Paru en 1987 (VO, 1984)


La série "Livre de sang" écrite par Clive Barker regroupe six volumes de nouvelles indépendantes. C'est avec ces recueils que Barker (mais aussi Jack Ketchum, Poppy Brite ou John Shirley) représenta le terme "Splatterpunk" : il s'agit d'un courant littéraire issue des années 80 inspiré du mouvement punk et d'un renouvellement du genre horrifico-fantastique en accentuant les scènes crues, en mettant en scène des personnages asociaux ou déjantés, ceux-ci le plus souvent antihéros.


La nouvelle éponyme "Le livre de sang" ouvre le recueil avec une maison hantée située au carrefour des morts. Un garçon y vivant, au demeurant mythomane, va subir la vengeance des défunts. Une mise en bouche sympathique et sanglante, qui donne le ton pour la suite. "Le train de l'abattoir" évoque un New-York désenchanté, peuplé de cadavres, et dans laquelle sévit un boucher au service des Pères de la ville. Un texte honnête, mais là encore, pas de quoi crier au chef-d'oeuvre. La nouvelle suivante "Jack et le cacophone" voit une créature démoniaque ayant pour mission de rendre fou un homme (Jack) sans jamais poser la main sur lui. Ce texte, de facture moyenne, nous laisse avec un sourire, sans parvenir à nous convaincre. Dans "La truie" un individu, bien que mort, n'en demeure pas moins "vivant", du moins en apparence. Un récit qui une fois encore se lit bien mais hélas ne marque pas le lecteur. On hausse enfin le niveau avec "Les feux de la rampe" (hello Chaplin) dans laquelle une pièce de théâtre comprend une actrice et des spectateurs particuliers. Horrifique, poignante et émouvante à la fois, elle a le mérite de redonner du peps au lecteur. On termine en beauté avec "Dans les collines, les cités", d'une grande force évocatrice (en dépit d'un début poussif) où l'on assiste à un combat de géants entre deux cités. Sanglante et terrifiante, cette nouvelle clôt le recueil à merveille.


Vous l'aurez compris, ce premier volume des "Livre de sang" se lit agréablement, cependant il manque une petite touche de brio pour en faire des textes véritablement mémorables. Oeuvre de jeunesse, celle-ci offre une porte d'entrée à l'univers fantastico-horrifique d'un auteur phare du genre.

mercredi 18 janvier 2012

Richard Yates - Tao Lin

Auteur : Tao Lin (USA)
Titre : Richard Yates
Paru en 2012 (VO, 2010)
Editions Au diable vauvert


Auteur considéré comme l'un des plus prometteurs de sa génération, l'américain Tao Lin (29 ans) écrit aussi bien des romans, des nouvelles, que de la poésie. Il publia son premier roman en 2007, au titre aussi insolite qu'énigmatique : "Eeeee Eee Eeee". Le présent roman, "Richard Yates", qui n'a d'ailleurs aucun rapport avec l'écrivain, évoque la solitude d'une génération hyper-connectée, sous un angle volontiers ironique, voire pathétique.


En 2006, deux jeunes adultes font connaissance via un chat. L'un est un garçon âgé de 22 ans qui bosse dans une bibliothèque et publie des livres. Il se fait appeler Haley Joel Osment. L'autre, une fille de 16 ans qui répond au nom de Dakota Fanning. Elle bosse dans un McDo en parallèle des cours. Ces deux là se rencontrent "réellement" et vont se mettre rapidement en couple. Nous allons les suivre pratiquement au jour le jour, entre conversations virtuelles, rendez-vous secrets (la mère de Dakota ne tolérerai pas la présence du jeune homme) et des vols fréquents de CD, livres, nourriture ou vêtements.


Tao Lin dresse le portrait de jeunes en manque de repères, en manque de confiance en eux, dont l'existence (ou non-existence) est ravagée par une communication à outrance (chat, sms) où ils brassent du vide. Certaines personnes sont d'avis qu'il est préférable de s'ennuyer à deux, plutôt que tout seul. Lors d'un passage, le jeune homme (Haley Joel) lance blasé : "je veux pas faire tout un tas de choses. Ma vie n'a pas d'importance". Alors qu'ils devraient croquer la vie, être curieux de tout, c'est l'effet inverse qui se produit, l'indifférence et l'insignifiance l'emportant généralement. Cela se traduit encore par l'intermédiaire du narrateur à propos de Haley Joel : "Il a pensé à l'insignifiance. Il s'est senti insignifiant. La vie est insignifiante."
Leur relation amoureuse s'avère compliquée, jamais pleinement claire. On ne sent pas un attachement, peu de sentiments entre eux. Mais plutôt un besoin d'être accompagné, même à distance (via le chat). Le lecteur demeure troublé par le nombre de fois où ils se disent ouvertement leurs envies suicidaires, aussi soudaines que versatiles. On touche là à un point essentiel du roman, à savoir qu'en dépit de la hausse considérable de la communication entre êtres humains, celle-ci créer une bulle dans laquelle chacun se repli, augmentant de la sorte leur déconnexion du monde réel.
Et Richard Yates dans tout ça ? Peut-être est-ce un pseudo donné au livre, au même titre que pour les deux personnages, baignés par cette volonté d'être assimilé à quelqu'un de connu ou par le besoin de se sentir existé (stars, télé réalité). Son nom apparaît d'ailleurs à plusieurs reprises (Haley vole un de ses livres ; plus tard il s'en sert comme tapis de souris ; et enfin l'éditeur du jeune homme raconte une anecdote à propos du célèbre auteur).


Servi par une écriture minimaliste, volontiers répétitive comme pour accentuer ce vide existentiel qui ronge les deux personnages, ce roman met en lumière les troubles liés aux nouvelles technologies (Internet et le téléphone portable, en particulier) ainsi que le sentiment de solitude que celles-ci engendrent, pour une minorité de geeks. Notre rapport au monde est en train de muter, et cela peut conduire à des maladies émergentes. Ne vous méprenez pas pour autant, la tonalité du livre prête avant tout à sourire devant l'absurdité de certaines situations, histoire de prendre un peu de recul avec tout ça. "Richard Yates" est donc un roman malicieux et subtil, qui nous en apprend beaucoup sur nous-même et donne à réfléchir sur l'évolution de notre société.