dimanche 30 décembre 2012

Atomic Bomb - David Calvo & Fabrice Colin


Auteurs : David Calvo - Fabrice Colin (FRA)
Titre : Atomic Bomb
Editions Le Bélial
Parution : 2002


"Atomic bomb" est la rencontre de deux esprits brillants et complémentaires, d'auteurs talentueux dotés d'un génie et d'une folie, communicatifs. Tout deux âgés de moins de 30 ans lorsqu'ils ont pondu cet OLNI jouissif, ils ont depuis fait leur chemin de manière bien différente. Fabrice Colin est un mec capable d'écrire  quatre ou cinq romans par an, dans des genres très diversifiés, bien qu'il se consacre davantage à la littérature de jeunesse. Quant à David Calvo, c'est un auteur à l'univers barré, qui publie trop peu, mais que l'on retrouve toujours avec une grande curiosité.


Le roman se scinde en trois parties. Dans chacune d'elle, les chapitres alternent entre deux narrateurs, que l'on devine aisément, mais dont on ne sait qui de David ou de Fabrice se dissimule derrière, ou peut-être est-ce les deux ? 
La première partie suit les aventures de deux septuagénaires qui ont tout plaqués, leur boulot et  leur saloperie de bonne femme (quand ce n'est pas elle qui s'en est chargée), pour aller faire la bringue, se chouter comme des malades et le summum du kiffe : se suicider en surfant sur la dernière vague atomique, ce qui est moins vulgaire qu'un putain de flingue, avouons-le.
La seconde partie, peut-être la plus hilarante, se consacre à deux extraterrestres, originaires du Bang. Ils débarquent sur Terre où il y a "une race locale très sympa et des explosions atomiques". En forme de poire, leur corps peut se modifier à volonté. Ils sont accueillit chaleureusement par les parisiens avec qui ils sifflent des bières. Ils ne sont pas une menace pour la population, puisqu'ils l'ont dit à la télé, et "la télé, c'est la parole de Dieu". Alors, bon. Malheureusement, ces êtres se multiplient très vites et à moins de les faire fondre ou de les découper aux ciseaux en petits morceaux, ils sont éternels. Depuis le Bang qu'ils vivent, on vous a dit. Une fille leur demande alors : "- Vous ne mourez pas ?  [et l'autre de lui répondre] - Pour quoi faire ?" Du coup, ils font le tour de la planète : Ku-Ba, Brésil, ou encore faire du snowboard dans les Alpes. Mais au bout d'un moment, ils commencent sérieusement à se faire chier. Même regarder un film porno les emmerde, après tout, ce n'est rien d'autre qu'un documentaire sur la reproduction humaine. La vieille peau du cinéma n'a même pas voulu leur rembourser la place. Quelle pétasse !  Ils s'occupent comme ils peuvent mais ne songent qu'à une chose : trouver un trou noir pour se barrer de ce maudit caillou. 
La troisième nous immisce dans la peau de deux rats au Japon. Ce sont des frangins qui appartiennent à une secte appelée "La Main du Destin". Leur mère les a sauvé de l'explosion du bateau dans lequel ils se trouvaient, mais elle a probablement succombé. Les frères sont cependant persuadés du contraire, et espèrent la retrouver, car une maman, ça ne peut pas mourir. Bien que l'humour soit présent, le texte est assez triste, en évoquant la disparition de personnes qui nous sont chères, ajouté à une toile de fond historique marquante sur la seconde guerre mondiale (la bombe atomique et les kamikazes). Certains passages sont très touchants, comme celui-ci : "le plus important dans la vie, c'est le savoir. Et puis aimer sa maman, bien sûr." En dépit de leur manque d'ambition, après tout ce ne sont que des rats, ils ont pour objectif de détruire une force obscure qui se sert de souris uniquement pour faire du profit, ce qui est, rongeusement parlant, inacceptable : à mort, Nintendo !


Rares sont les livres qui provoquent un tel plaisir de lecture, rafraîchissant, où l'on sent que les auteurs se sont éclatés, en roue libre, sans prise de tête, en nous faisant partager leurs délires. Les propos ne sont pas pour autant totalement gratuits car au milieu de cette foire à la rigolade, on trouve des interrogations sur le sens de la vie (ou plutôt son absence), une invitation à se cultiver, à faire des expériences, à vivre l'instant présent, et  surtout ils délivrent un message d'Amour, à la fois familial et amical. Une chose est sûre, "Atomic Bomb" fait énormément de bien, il revigore et donne du peps. En cela, ce médoc devrait être remboursé par la sécurité sociale. Et ce n'est pas le brave Kwak qui va me contredire, n'est-ce pas Kwak ? - Kwak ! 


dimanche 23 décembre 2012

J'étais Jack l'Eventreur - Claude Ferny


Auteur : Claude Ferny (FRA)
Titre : J'étais Jack l'Eventreur
Editions Florent-Massot
Publication : 1994 (première publication, 1956)



Claude Ferny est le pseudonyme de l'écrivain français Pierre Marchand (1906-1978). Il utilisa également le nom de Peter Marsh, comme autre nom de plume. On lui doit plusieurs pastiches de Sherlock Holmes comme "1 mort vert, 3 morts violets". Le roman "J'étais Jack l'Eventreur", publié dans les années 50, nous retrace l'itinéraire d'un tueur conscient de sa folie, éprouvant une haine féroce envers la gente féminine. 


Dans la petite ville de Chelmsford en Angleterre, Charley Dorsett vivait dans une famille protestante dans laquelle la froideur paternelle déteignait sur tout le monde. Charley éprouvait à la fois une crainte et une admiration pour les femmes. Il tomba amoureux d'une camarade de classe. Devenue distante avec lui, il envoya son seul ami pour essayer d'arranger les choses. Soucieux de connaître sa méthode, il les observa alors qu'ils se promenaient dans la nature... avant que ceux-ci ne flirtent en riant à gorge déployée. Sa haine se manifesta alors brusquement, et il sut que ces "chiennes" seraient le fruit de sa vengeance sanguinaire. Il commença par tuer sa chienne en la traînant par la laisse attachée à son vélo, jusqu'à ce qu'il n'en resta qu'un grossier morceau de chair en bouillie. Puis il massacra une vitrine de mannequins à la hache.  
Parvenant à canaliser tant bien que mal sa folie grandissante, il mena des études de médecine. Quelques années plus tard, son talent fut reconnut par ses pairs qui le nommèrent "grand couteau". Trop conscient du mal qui le tiraillait en lui, il tenta (et loupa) deux tentatives de suicide successives. Le chirurgien y vit un message divin destiné à le punir. Charley fit preuve de philanthropie  hélas, son destin était tout tracé. Il voulait des cadavres. Frais de préférence. Et quoi de mieux que le sinistre quartier londonien de Whitechapel pour en dénicher...


Partant d'une banale trahison amoureuse durant son adolescence, la dégradation progressive de l'état mental du narrateur ne cessa de s'intensifier. A ses cours de médecine, lorsque Charley échangeait avec d'autres filles de manière trop personnel, "ce n'était plus un gracieux visage de jeune fille que j'avais devant moi, mais une tête de chienne, à la langue pendante." Il était en parfaite connaissance de sa dérive dévastatrice, et fit son maximum pour la contenir (tentatives de suicide, amputation volontaire, internement psychiatrique, etc.). Ce personnage immonde nous apparaît néanmoins comme "sympathique". En effet, Charley sauva des vies de par sa profession de médecin-chirurgien, il s'engagea dans une association, et créa un prix de la vertu. Mais c'est surtout son incapacité à aimer les femmes qui nous touche, souffrant profondément de ce manque. Sur la fin de sa vie, de puissantes visions ténébreuses le hantaient, de femmes qu'il avait sauvagement assassiné : "Dans leurs longues mains aux ongles démesurés, elles tenaient leurs entrailles fumantes et sanglantes et elles m'aspergeaient de gouttelettes pourpres. La plaie de leur ventre baillait et, par instant, j'en voyais sortir des faces de démons hideux dont les cornes me menaçaient. Elles étaient toutes là, avec leurs têtes de chiennes." La dernière phrase du livre, à vocation universelle, laisse un message qui prend un sens encore plus fort venant d'un homme qui, sa vie durant, fut ravagé par ses sentiments.



Cette lecture malsaine, douloureuse et poignante, hante l'esprit du lecteur d'images morbides qui vous prennent aux tripes, tout en éprouvant une compassion - certes infime - pour ce meurtrier horrifique. Ce court roman dérangeant, inspiré d'un célèbre fait divers, brille autant par son côté humain, qu'inhumain. 

mardi 4 décembre 2012

Le lézard noir - Edogawa Ranpo


Auteur : Edogawa Ranpo (Japon)
Titre : Le lézard noir
Editions Picquier
Parution : 2002 (VO, 1934)


Ecrivain de polars à succès, Edogawa Ranpo se distingue par la subtilité et la finesse de son écriture. Parmi ses oeuvres les plus célèbres, on lui doit "La proie et l'ombre", "L'île panorama", "La bête aveugle", et cet excellent "Lézard noir" publié en 1934.


Une femme fatale tire d'un mauvais pas un homme dans une boîte de nuit qui a tué deux personnes par vengeance amoureuse. Elle a un tatouage sur le bras et se fait appeler "le lézard noir" ou "l'ange noir". Dans le laboratoire d'une université où elle travaille, le lézard noir offre une nouvelle identité au criminel en transformant le corps d'un cadavre lui ressemblant, puisque l'école réceptionne quantités de corps défunts. En échange de cette faveur, la femme le considère dorénavant comme son esclave, chose qui ne semble guère contrarier le monsieur, bien au contraire. Il intègre donc l'équipe du lézard noir. Le but de la prochaine mission est de kidnapper la fille d'un gros joaillier afin de l'échanger contre un gros diamant...

L'intrigue savoureuse enchaîne les retournements de situation entre deux cerveaux ingénieux : d'un côté le lézard noir, de l'autre le détective Akechi (chargé de la surveillance de la fille du joaillier). De nombreuses ruses sont employées de chaque côté pour arriver à leur fin. Ainsi, des déguisements, des mannequins fictifs, des transformations physiques, dupent aussi bien les adversaires que le lecteur. Ce lecteur qui est pris à partie par le narrateur lors d'un évènement a priori illogique : "Le lecteur pense peut-être que je me suis trompé. [...] Mais je vous assure que l'auteur ne s'est pas trompé". On prend beaucoup de plaisir à lire le récit, ravi de se faire surprendre.


Un polar à conseiller pour son approche originale, sous l'angle du "jeu" entre deux esprits brillants et habiles. Ce divertissement malicieux et intelligent est un régal.

dimanche 2 décembre 2012

Au commencement était la fin - Stanley Elkin


Auteur : Stanley Elkin (USA)
Titre : Au commencement était la fin
Editions Cambourakis
Parution : 2012 (VO, 1979)


Ecrivain juif américain, Stanley Elkin est l'auteur de treize romans traitant essentiellement, sous forme satirique et extravagante, de thèmes comme la culture populaire, le consumérisme et les relations entre hommes et femmes. Ce quasi inconnu bénéficie d'une seconde chance grâce aux éditions Cambourakis qui ont commencé à rééditer son oeuvre et traduisent des inédits, dont "Au commencement était la fin" fait partie.


Ellerbee est un homme qui, dans sa malchance, a le coeur sur la main. En pleine déchéance financière suite à de mauvais placements de SICAV (Société d'Investissement à CApital Variable), il ne touche par ailleurs qu'une faible somme sur sa maison incendiée car il l'avait fait sous-évaluer pour gruger le fisc. C'est la vie. De plus, son commerce à Minneapolis a été cambriolé à plusieurs reprises. La dernière a provoqué la mort de deux employés. Ellerbee décide de verser néanmoins les salaires aux veuves pendant plusieurs mois, tandis qu'un consortium (qui a peut-être organisé les vols du magasin) rachète son commerce pour une bouchée de pain. Ellerbee acquiert un nouveau magasin, dans un quartier moins dangereux. Mais, manque de bol, une nouvelle attaque survient. Il est mortellement blessé par une balle dans la tête. 
Ellerbee monte au Paradis avec un ange de la mort. Il voit Dieu sur son trône, "un Être drapé dans une robe immaculée". Ensuite, il rejoint l'Enfer avec Saint-Pierre pour une petite visite. Des démons "cornus, armés de fourches" tentent de semer la terreur, mais leur autorité fait défaut. 
Ellerbee rencontre une soixante d'années plus tard en Enfer, le complice du braqueur qui l'assassina. Les deux hommes échangent. Le second, Ladlehaus, lui révèle qu'il est devenu criminel parce qu'il ne comprenait pas les blagues. Vu qu'il ne riait pas, les autres le prenaient pour un dur. Quelle gloriole ! 
Dieu, dans toute sa splendeur, confie aux damnés qu'il ne se rappelle même plus avoir créé cet endroit ou encore qu'il porte des verres de contact. Dieu n'est pas non plus infaillible. En effet, il commet une grosse boulette en prenant Ladlehaus (dernier arrivé) pour l'ancien Ladlehaus (le premier de tous les Ladlehaus de l'Enfer, et pour sûr, ils sont nombreux), ce cynique qui osa interroger le créateur afin de savoir si la vie existe avant la mort. Dieu lui demande de disparaître... et l'envoie au Purgatoire, où il est enterré par inadvertance. Ce pauvre Ladlehaus, qui n'était pour rien dans cette affaire, reçoit de temps à autre la visite de Quiz, le gardien du stade d'un lycée, qui répète, "Sablés diététiques", tel un mantra. Heureusement (ou pas), des gosses viennent lui taper la discute. C'est toujours plus agréable que de se faire pisser sur le museau par un abruti de gardien...


"Au commencement était la fin" est un roman à la fois humoristique, ironique, absurde et décalé, qui donne à réfléchir sur notre existence, sur la question de la mort, et sur nos croyances. Le dénouement, sans compromis possible, fait mouche en bouclant de façon ridicule et risible le récit. A découvrir !