lundi 6 juin 2011

Le fourgon des fous - Carlos Liscano

Auteur : Carlos LISCANO (Uruguay) 
Titre : Le fourgon des fous 
Edition : Belfond 
Parution : 2006, (VO : 2001) 


« On vient de me ramener de la salle de torture, qui est au rez-de-chaussée, en tournant à gauche au pied de l’escalier. On entend les cris, un torturé, un autre, un autre et un autre encore, toute la nuit. Je ne pense à rien. Ou je pense à mon corps. Je ne le pense pas : je sens mon corps. Il est sale, couvert de coups, fatigué, il sent mauvais, il a sommeil, il a faim. En ce moment au monde il y a mon corps et moi. Je ne me le dis pas ainsi, mais je le sais : il n’y a personne d’autre que nous deux ». 


Carlos Liscano fut arrêté à 23 ans en 1972 et sera libéré en 1985. Lorsqu’il est en prison sa mère décède et peu de temps après son père se suicide ne pouvant vivre sans sa compagne.
A ses yeux, la souffrance due à la torture est unique, intime. Personne ne la ressent de manière identique. 



Les séquelles physiques et psychologiques de la torture. 


Sur le plan physique d’abord, les coups portés par les tortionnaires, les plaies, le sang vont provoquer des troubles psychiques, de mémoire, cardiaques et ce durant de longues années. Il est extrêmement difficile de soigner les torturés. Des méthodes élaborées ont été inventées (psychothérapeutes, médecins, infirmières…). L’un des éléments clés est d’être à l’écoute du malade. 

Sur le plan psychologique. Les cris (les siens, ceux de ses camarades d’infortune, ceux des bourreaux), les aboiements des chiens pour les effrayer, les menaces, les rires, les insultes, les tortionnaires qui agitent l’eau du baril dans lequel ils vont le plonger, etc. 

Liscano se rappelle précisément des odeurs et en particulier celle de la salle de torture : tabac, alcool, urine, humidité, produits détergents. L’eau du baril est sale et malodorante car elle contient les cheveux, la crasse des détenus, leur dentier ou du vomi. 



Rapports tortionnaire/torturé 


Pour Liscano, être tortionnaire n’est pas chose facile. Parfois il se fatigue, perd ses moyens, picole et finit par tabasser le torturé histoire de se défouler un bon coup. Lui aussi, à sa façon est dans la misère. Il doit prendre des décisions, sortir le détenu du baril et donc se mouiller, se souiller lui aussi. Celui-ci n’approuve pas toujours les méthodes de torture mais cela ne dépend pas de lui. D’une certine manière ils sont liés. Un soupçon d’humanité persiste tout de même lorsque le responsable du tortué va discuter de tout et de rien le matin dans sa cellule, il lui offre parfois des cigarettes. Il s’établit une relation de « confiance » ce qui sous-entend que le détenu délivre ses infos à lui et non à d’autres tortionnaires qui prennent le relais dans une soirée spéciale. Faute de quoi, le responsable se sent trahi. Il lui fera comprendre mais dans la plupart des cas il lui pardonnera. 



La liberté et après ? 

Arrive le jour de la libération. « Des années durant, en prison, la liberté c’était une plaine infinie, blanche, dans une lumière de crépuscule ». 
Il est instable, agressif et replié sur lui-même, c’est la pathologie du temps, le ressassement de l’événement. Il lui faudra retrouver son « moi-peau », c’est-à-dire une peau non fissurée. 




Témoignage bouleversant sur l’indicible, sur le refus de se laisser mourir pour garder sa dignité, essayer de comprendre et de laisser cicatriser ce qui peut encore l’être. Liscanotrouvera des années après la libération par l’intermédiaire de l’écriture. 
Un grand livre, indispensable.

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