Auteur : Leo Lipski (Pologne)
Titre : Piotrus
Editions L'arbre vengeur
Parution : 2008 (VO, 1960)
Ce roman étrange de Leo Lipski, aussi tragique que comique, fut publié en 1960. Il contient quelques éléments autobiographiques allant de sa déportation en U.R.S.S jusqu'à la découverte de l'Iran avec l'armée polonaise. Là-bas, il contracta le typhus. Il se réfugia ensuite en Palestine en 1944, après le massacre de sa famille par les nazis. Son malheur continua lorsqu'il fut victime d'une paralysie grandissante (l'hémiplégie) le condamnant à une profonde solitude et une interminable souffrance.
L'histoire débute au XXès, en l'année 19.., à Tel-Aviv. Sur le marché, un homme se met en vente (vêtements compris), "forcé par les circonstances et certaines dettes morales." Une grosse bonne femme à l'odeur nauséabonde l'achète. Son rôle sera d'occuper les toilettes de sa maison du matin au soir, enfermé à clef, afin de faire déguerpir les deux sous-locataires devenus indésirables. La propriétaire pense à tout puisqu'elle lui remet le premier tome d'une encyclopédie, "Meyers Lexikon", pour ne pas trop s'ennuyer durant ce laps de temps. Mais il n'en a que faire de ce bouquin. Son principal souci est de se protéger de la canicule qui lui donne des coups de soleil. Pour cela, il se contorsionne autour du w-c. De cette manière, il découvre l'emplacement d'un nid de gros cafards. L'homme sombre peu à peu dans la folie et des envies de suicide se manifestent... Lorsque Batia, une peintre et prostituée loufoque de quinze ans (la nièce de cette immonde femme) vient le voir pour l'inciter à quitter "sa cure de pourrissage". Il prend le risque et le voilà embarqué dans des expéditions extravagantes au côté de cette jeune femme, prête à tout pour satisfaire ses désirs. Son goût pour la vie reprend de la consistance. Il pense que "les temps de la prostitution [sont ceux] où règne le calme et la paix." Jusqu'au jour où la prostituée le laisse pour butiner vers d'autres horizons.
"Piotrus" allie une dualité humoristique et tragique. Humoristique parce que la perspective de voir quelqu'un enfermé dans les toilettes sous la coupelle d'une bonne femme sans coeur, le laissant crever de chaud au milieu de cafards est une idée extravagante, totalement folle, admirablement décrite par la plume piquante de Lipski. Le grotesque ne s'arrête pas là pour cette mégère qui condescend néanmoins à le sortir de son trou au bout de plusieurs heures d'ennui et d'agonie, en le promenant comme un bon chien-chien en laisse, le collier autour du cou. Son ravissement est tel qu'il en aboie de joie. Farfelue encore cette improbable consultation auprès d'un docteur (?) qui lui affirme que des perspectives infinies s'offre à lui, puisque l'odieuse femme "a perdu la partie (contre lui), et en rêve par-dessus le marché". En réponse au contre-argument du supplicié relançant le fait qu'elle continue à lui monter dessus, le médecin lui rétorque que c'est "son devoir de souffrir". Cet autre passage dévastateur d'humour noir en renforce son impact :
"- Lorsque vous aurez connu la vraie saloperie...
- J'ai été en Russie (déporté)
- Lorsque vous aurez connu la vraie saloperie, la décomposition morale..."
Un peu à la manière de "Abattoir 5" de Kurt Vonnegut, Lipski parle de sa trajectoire personnelle, douloureuse, tragique jusque dans sa drôlerie. La dernière page où il évoque son agonie n'en est que plus poignante.
Saluons les éditions l'Arbre vengeur pour la publication de ce roman d'un auteur polonais injustement méconnu. Cette pépite d'une noirceur pénétrante au pouvoir comique dévastateur est un coup de maître.
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