Auteur : Italo Calvino (ITALIE)
Titre : Le chevalier inexistant
Réédition Folio : 2012 (VO, 1959)
Sous forme de fables humoristiques, Calvino publia dans les années 50 une trilogie comprenant Le vicomte pourfendu (1952), Le baron perché (1957) et Le chevalier inexistant (1959), devenue classique.
Les Chrétiens en guerre contre les Sarrasins durant le Moyen-Âge, sous la direction du carolingien Charlemagne, bénéficient d'une aide inattendue. Dans leurs rangs, les chevaliers comptent sur un renfort de poids qui se nomme Agilulfe (un soldat modèle mais antipathique). Il s'agit plus précisément d'un chevalier inexistant conscient de son existence. C'est juste, matériellement parlant, un tas de ferraille, un être qui est "présent" dans son armure, mais qui n'a pas d'endroit, "quelqu'un qui y est sans y être". Il ne dort pas, pas plus qu'il ne mange, et se révèle très précieux au milieu de cette bande de paladins belliqueux (enfin, ça c'est ce qu'ils prétendent, car toutes les occasions sont bonnes pour s'arrêter boire un verre dans les tavernes sous prétexte de préserver les forces de l'empereur vieillissant).
Durant leur expédition, les chevaliers croisent un homme toqué, qui existe réellement, mais qui n'en a pas conscience. Que quelqu'un crie "Fromage" ou "Mouton", celui-ci rapplique à toute vitesse pensant qu'on l'appelle, il ne fait aucun lien avec une éventuelle offrande, car il ne sait pas nommer les choses. On lui donne des dizaines de noms, en fonction de l'endroit où il se trouve. Ici, il se fait appeler Gourdoulou. Cet imbécile heureux plait à Charlemagne qui l'engage comme écuyer. De quoi mettre un peu plus d'animation, si besoin en est...
Sous couvert d'une fable assez délirante, Calvino tacle l'absurdité de la guerre. Par ex., quiconque souhaite demander une réparation suite au décès d'un proche, doit s'adresser à la surintendance des "Duels, Vengeances et Atteintes à l'Honneur". Lorsqu'un chevalier réclame un combat contre l'émir qui a éliminé son père, celui-ci obtient finalement gain de cause, mais son rival meurt d'une manière tellement absurde que sa frustration l'emporte. Ailleurs, l'auteur brille par les descriptions d'une charge de bataille entre destriers dans laquelle les deux premières lignes se rejoignent. Alors, "c'était l'embouteillage et personne n'y comprenait plus rien". Dans ce chaos, "quand on ne parvenait pas à s'affronter, on échangeait des gros mots". Ne parlant pas la même langue, des interprètes (inattaquables, d'un accord commun) se chargeaient de traduire d'un camp à l'autre les insultes diverses, faute de quoi les chevaliers se heurtaient à une incompréhension malvenue, tachant de mémoriser l'attaque verbale pour une traduction ultérieure. Toutefois, ce serait réducteur de dire que ce texte se consacre uniquement à la guerre. On y croisera également une bonne soeur narratrice, les chevaliers du Graal qui auraient peut-être eu un fils "collectif", etc.
Bien que totalement irrationnelle, cette histoire déjantée fonctionne grâce à la plume de Calvino qui fait des merveilles. En tournant au ridicule la guerre, il en fait une critique piquante et mordante, maquillée sous des propos souvent hilarants. Signalons que les éditions Folio vont rééditer l'ensemble de son oeuvre, excellente initiative donc.
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