lundi 7 mai 2012

Pages bizarres - Urmuz


Auteur : Urmuz (Roumanie)
Titre : Pages bizarres
Editions L’âge d’homme
Parution : 1993


De son véritable nom Demetru Demetrescu-Buzau (1883-1923), Urmuz, qui fut juriste de profession, peut-être considéré comme un avant-gardiste. Il appartient au surréalisme roumain qui précéda le français. Son œuvre, dont seule une poignée de nouvelles nous sont parvenues, consiste à démolir l’univers des mots pour les remodeler à sa façon. Le traducteur Dolingher dit ce qui suit dans son avant-propos : « Comme il ne pouvait pas encore transformer la réalité, il avait commencé par en changer son reflet, en brisant le miroir du langage et en mélangeant autrement les bris formant un ensemble, auquel il voulait conférer un éclat nouveau ». Il se suicida par arme à feu, à l'âge de 40 ans.


Le recueil débute par « L’entonnoir et Stamate », où une famille attachée à un pieu dans un souterrain, ne dispose, comme unique moyen de communication avec le monde extérieur, que d’un tuyau. Le père de cette famille fut contraint de faire son service militaire du haut de sa première année d’existence ( ???) car ses deux frangins avaient été virés de leurs emplois. On ignore l’âge des deux infortunés. Ce texte donne d’emblée la tonalité de l’ouvrage, fantaisiste, farfelue et absurde. On enchaîne avec « Ismaël et Turnavite » qui n’est pas en reste en matière de loufoquerie et d’évènements illogiques. En effet, Ismaël mange des blaireaux qu’il élève au bord de la mer Noire. Paraît-il que c’est plus goûtu  avec un zeste de citron. Avis aux amateurs. En dehors de cette louable activité, notre brave homme est séquestré par son vieux, qui le planque au grenier dans un bocal pour le protéger des « piqûres d’abeilles et de la corruption de nos mœurs électorales ». Dans « Emil Gayk », il s’agit d’une succulente parodie de guerre entre un picoreur et sa nièce qu’il a adoptée. « Cotadi et Dragomir » poursuit dans la bizarrerie avec le personnage Cotadi, doté d’un couvercle de piano qu’il a vissé dans son dos afin d’uriner en toute tranquillité pour éviter de se geler les burnes en hiver. Il sert aussi de pot de chambre pour les autres personnes, misent en garde par un bienveillant écriteau : « Défense de salir ». Il a la particularité de se nourrir exclusivement d’œufs de fourmis. Un récit déjanté à souhait. « Algazy et Grummer » tient le haut de l’affiche avec une fin hilarante et non gratuite sur les œuvres littéraires, du moins dans la démarche artistique et intellectuelle de l’auteur. Dans « Après l’orage », un homme est poursuivit par le fisc pour logement illégal sur un arbre. Le tout enrichit d’une jolie histoire d’amour avec une volaille. Pour conclure avec les principaux textes, « La Fuchsiade » brosse le portrait d’un homme pur, né dans l’oreille de sa grand-mère, car sa mère n’avait pas suffisamment l’oreille musicale. Il étudia comme il se doit au conservatoire, avant d’offenser la déesse Aphrodite, ce que même les dieux n’auraient osé faire. S’appuyant sur la mythologie grecque, l’auteur termine en beauté ce festival du non-sens et de délires en tous genres.


Ne connaissant Urmuz ni d’Eve ni d’Adam, c’est par un total hasard en faisant d’autres recherches que je suis tombé sur cet auteur dont le titre « Les pages bizarres » m’a immédiatement interpellé. Grand bien m’en a prit de me le procurer. En effet, rares sont les auteurs dotés d’une plume alliant humour, absence de logique, réflexions satiriques, fantaisie et burlesque, et ayant pour ambition de refaçonner le monde à travers le langage. On en vient à se demander comment un écrivain aussi talentueux ne soit pas devenu plus connu du grand public. Car nul doute que l'oeuvre atypique de Urmuz marquera les lecteurs durablement. Pour l'anecdote, Eugène Ionesco avait écrit une étude sur lui, mais les éditeurs français l'avaient refusés, pensant que cela n'intéresserait personne. Sans quoi, la carrière d'Urmuz aurait probablement eu une toute autre tournure...

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