vendredi 11 mai 2012

Le langage Martien - Victor Henry


Auteur : Victor Henry (France)
Titre : Le langage Martien
Parution : 1901
Editions General Books (2012)



Le cas de la médium suisse Hélène Smith (1861-1929) fascina aussi bien des linguistes (tel Ferdinand de Saussure), des psychologues (par ex. Théodore Flournoy, auteur de travaux sur le spiritisme et les pouvoirs parapsychologiques, lui a consacré une étude qui s’appelle « Des Indes à la planète Mars »), que les amateurs de curiosités. 


Hélène Smith était une médium (terme qui signifie "milieu intermédiaire") atypique. En effet, elle avait la faculté de servir d’intermédiaire entre le monde des esprits et le monde des hommes. En créant une langue (ou plutôt une pseudo-langue) émanant des extraterrestres, le « langage martien » s’identifie à de la glossolalie : pour la linguiste Marina Yaguello, cela suppose « la capacité d’inventer une pseudo-langue qui, selon son degré d’élaboration et de stabilité, pourra ressembler plus ou moins à une vraie langue. Le sujet est alors possédé par un langage que lui-même ne comprend pas et qui exige le recours à un interprète inspiré ». Ce langage subconscient se manifestait uniquement en état de somnambulisme, via des séances le plus souvent publiques. Smith se croyait transportée sur la planète Mars où elle décrivait des paysages et des personnages. Un être désincarné nommé Esenale lui servait d’interprète pour la langue martienne. Elle répétait puis écrivait le texte élaborant ainsi des cycles romanesques martiens, mais aussi hindous, orientaux, parmi d'autres. La plupart du temps, ce n’était que plusieurs jours ou plusieurs semaines après la séance que la médium traduisait du martien au français les phrases « entendues ». Son vocabulaire se rapproche le plus de cette langue car c'est celle-ci qu'elle maîtrisait le mieux, bien que les mots inventés soient déformés et altérés de manières multiples.

L’étude du vocabulaire martien prend appui sur quatre langues. En plus du français, on trouve de l’allemand, qu'Hélène Smith  étudia durant trois ans, bien qu’elle ne fût pas une adepte de l’apprentissage des langues. S'ajoute encore le magyar, du côté paternel. Cependant Smith ne le parlait pas. Tout au plus avait-elle retenues quelques expressions enfantines ou des bribes de noms d’objets. Et enfin, des fragments de sanscrit, puisqu'elle fut mariée à un prince hindou. Elle le "baragouinait" plus qu’autre chose et ne connaissait que de façon approximative l’alphabet dêvanâgari. Les linguistes se demandèrent le niveau de compréhension qu'elle pu atteindre lorsqu'elle parcourait des ouvrages dans cette langue.  Toujours est-il que des sonorités et la syntaxe s'étaient, semble-t-il, gravées dans son moi subconscient. 

La mémoire subconsciente joue ici un rôle primordial. Comme le dit Victor Henry, « si l’homme n’invente rien, ne fait que se souvenir, le langage d’Hélène Smith doit être un composé analysable d’un mélange de ses souvenirs auditifs et livresques ». En outre, cette création obéit à des lois multiples et protéiformes. Néanmoins, l'auteur souligne le fait que quiconque invente une langue totalement inédite ne pourra « échapper à la fatalité d’y trahir et d’y laisser deviner le jeu des organes secrets qui concourent dans le moi subconscient à l’élaboration toute mécanique du langage humain ». Nous pouvons citer un contre-exemple à ces propos en évoquant le langage enochien inventé par John Dee au XVIe siècle qui ne ressemble à aucune autre langue humaine. Pour revenir à la langue smithienne, le psychologue Theodore Flournoy la qualifie ainsi : « le martien est l’œuvre ingénue et curieuse d’une intelligence enfantine, dénuée de tout sens linguistique et souverainement inconsciente de ce qui constitue l’essence d’une langue ».

Ensuite, Victor Henry examine et classe les procédés généraux qui ont présidé dans le moi subconscient de la médium, permettant l’élaboration de ladite langue. On y trouve la phonétique, la dérivation, la syntaxe, la grammaire et enfin le vocabulaire. Cette analyse s’avère assez pointue pour qui n’a pas de connaissances linguistiques avancées, afin de l'apprécier pleinement. De plus, la succession des mots de vocabulaire s'avère un poil barbante pour le profane.
Signalons enfin que l’ouvrage ne fait qu’une trentaine de pages, imprimé dans un format A4, hélas gâché par une quantité de coquilles. Deux autres éditions (Kessinger publishing et Nabu press) proposent l'ouvrage, avec lesquels vous serez peut-être plus chanceux sur ce point.


« Le langage martien » vaut le détour pour le caractère exceptionnel du fait étudié, intrigant, bluffant et stimulant. Peut-être aussi pourra-t-il convaincre les plus cartésiens d’entre nous de l'existence de pouvoirs latents en l'homme. Concluons par les propos du philosophe Alain pour lequel « tous les moyens de l’esprit sont enfermés dans le langage, et qui n’a point réfléchi sur le langage n’a point réfléchi du tout ».

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