Auteur : Fabrice Colin (France)
Titre : Blue jay way
Editions Sonatine
Parution : 2012
Auteur de plus d'une trentaine de romans, Fabrice Colin est une valeur sûre chez les auteurs contemporains. Cette première incursion dans le domaine du thriller, qui plus est aux excellentes éditions Sonatine, marque les esprits, et peut être rapprochée de ses romans publiés aux éditions L'atalante, en particulier "Sayonara baby" pour son univers lynchéen.
En 2002, à New-York, un admirateur franco-américain (Julien, 26 ans) de l'écrivaine Carolyn Gerritsen se rend à une séance de dédicaces où elle lui transmet son adresse mail, puisqu'il travaille sur sa biographie. Faisant peu à peu connaissance, Gerritsen lui propose d'apprendre le français à Ryan, son fils de 21 ans (et au passage de le réconcilier avec le réel). Il vit à Los Angeles. Là-bas, ce jeune adulte a fait construire une demeure appelée Blue jay way. Il entretient des rapports conflictuels avec son père - un producteur à Hollywood, qui brille par son absence. De plus, une mauvaise expérience d'une émission de télé-réalité l'a achevé au reste.
Sur place, des phénomènes étranges (et malsains) commencent à apparaître pour Julien. En effet, ses sms sont tous effacés, ainsi qu'une bonne partie de son répertoire. Ensuite, il a une relation sulfureuse avec Ashley, la femme de Larry, son employeur. A force de jouer avec le feu, on finit par se brûler. Sans compter sur la prochaine disparition d'Ashley, qui ne donne plus signe de vie. La police enquête, et l'étau se resserre autour de Julien. Cette proposition d'enseignement, sur le papier alléchante, se transforme en un cauchemar, à plus forte raison lorsque les amis de Ryan insinuent que le nouveau venu connaît plutôt bien la disparue. Mais à Los Angeles, "il y a bien longtemps que le concept de vie normale a perdu toute valeur". Certains affirment même que cette cité est propice à la déviance et au crime.
Blue jay way combine plusieurs traumatismes : tout d'abord, celui du 11 septembre qui a provoqué la mort du père de Julien qui se trouvait à bord d'un des avions écrasés. Ne pas avoir retrouvé son corps sème le trouble dans son esprit et ne facilite pas le travail du deuil. Il s'est inscrit sur des forums où l'on évoque les complots entre autres. Depuis, il reçoit des sms bizarres et anonymes. Il a des difficultés à reprendre le dessus, ce qui provoque la rupture avec ses petites amies successives. Ensuite, celui de Ryan, déglingué par la télé-réalité qui l'a recraché au monde en état de larve. Sa mère vit éloignée de lui à New-York, séparée de Larry, homme assoiffé par l'argent au détriment de sa famille. Ce sont aussi les parcours de deux personnages (Scott et Jacob), depuis leur enfance, aux comportements troubles et inquiétants. On saura bien plus loin leur rôle dans cette histoire. Et enfin, c'est le traumatisme d'une ville, Los Angeles : "aucune région au monde n'excitait autant l'appétit de meurtre des dingues en tout genre" et "les gens qui veulent la comprendre doivent subir une métamorphose."
C'est inévitablement, pourrait-t-on dire, une réflexion sur le mal, ce "mal qui tend à s'identifier au tout, jusqu'à ce qu'il révèle n'être rien d'autre que le vide vertigineux et sans bornes qui hante la conscience moderne". Ces comportements nuisibles et destructeurs ne sont pas une "fatalité métaphysique", mais plutôt une "lumière nécessaire". Il n'existe pas de sociétés sans meurtres (cf Minority report), car les criminels en sont des agents réguliers.
Colin fait aussi référence au thème du fantôme, fréquent dans son oeuvre, en témoigne son recueil de nouvelles intitulé "Comme des fantômes". Il dit à propos de L.A. que "le brouillard était indissociable de cette ville. [...] Il servait de substance aux fantômes et aux anges, et contribuait à maintenir leur monde en vie." Cette opacité se retrouve à travers le personnage de Julien qui essaie d'écrire le déroulement des évènements. Il se heurte à l'incapacité de sa mémoire (et de son imagination ?) à retranscrire son expérience. Ce qu'il a vécu à Blue jay way sera par conséquent, une fois libéré par l'écriture, davantage l'ombre du réel que le réel en tant que tel, car un voile, un brouillard, masque l'essence même des choses.
On retrouve une fois de plus l'élégance de la plume de l'auteur dans ce thriller de haute volée qui le place parmi ses oeuvres les plus ambitieuses. Ce très bon livre me laisse penser qu'il ne manque pas grand chose pour que Fabrice Colin nous balance prochainement un chef-d'oeuvre qui mette tout le monde k.o., en écrasant la concurrence. Gageons que l'avenir me donnera raison.
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