vendredi 18 janvier 2013

L'actionnisme viennois et les autrichiens - Danièle Roussel



Auteur : Danièle Roussel (FRA)
Titre : L'actionnisme viennois et les autrichiens
Editions Presses du réel
Parution : 2008 (première publication 1995)


Regroupant une trentaine d'entretiens menés au début des années 90 auprès d'artistes, d'écrivains et d'hommes politiques, ce document sur un mouvement artistique qui fit sensation dans les années 60 - l'actionnisme viennois - nous donne un aperçu de la manière dont a été appréhendé ces performances d'un point de vue interne (via les interviews des trois membres les plus influents) et externe.


L'actionnisme viennois naquit en 1960. Pour comprendre sa profonde brutalité et son radicalisme, il est nécessaire de le replacer dans le prolongement de la seconde guerre mondiale. En effet, dès 1938 à l'arrivée d'Hitler aux portes de Vienne, l'Eglise (ou une partie du moins) offrit sa bénédiction au Führer par la voix du cardinal Innitzer, pour qui il s'agissait de la Providence. La grande majorité de l'élite intellectuelle et artistique fut torturée, chassée, massacrée. Un nombre considérable de juifs, éliminés. Or, beaucoup de gardiens de camps de concentration étaient des autrichiens. Malgré cela, l'Autriche fut dédouanée de ses responsabilités à l'égard du nazisme. Après 1945, Vienne devint, comme le souligne l'écrivain Peter Turrini, "une maison de sucre, un conte de fée bidon, et il fallait profaner ce conte, avec de la merde et de l'urine." Le comble fut sans doute atteint en matière de mensonge ignoble en 1955 avec la signature par les Alliés du "contrat d'Etat", désignant l'Autriche comme une victime du nazisme. S'en était trop.
En 1960 donc, une poignée d'artistes se révoltèrent devant la puanteur des cadavres, ainsi que le vide culturel laissé par la guerre. Ils vont alors "dépecer, lacérer, faire exploser, autopsier cette image du monde capable de tels crimes, au nom de l'humanité, de la religion et de l'esthétique." Tous les tabous ont été rompus, heurtant un public médusé. 
Leurs actions firent scandale par leurs aspects choquants et leur radicalité. Des spectateurs y voyaient un culte satanique. Les trois membres clés du mouvement artistique, à savoir Otto Muehl, Hermann Nitsch et Gunter Brus, reçurent de nombreuses menaces de morts et furent victimes de harcèlement téléphonique. Otto Muehl fut même incarcéré à plusieurs reprises.
Venons-en à présent aux influences de l'actionnisme viennois. Selon les artistes du groupe, on retrouvait l'expressionnisme abstrait, l'art informel américain, le tachisme, le symbolisme français, entre autres. Ils s'inspiraient de peintres tels Egon Schiele, Klimt, Kokoschka ; des psychanalystes Freud et Jung ; des musiciens Schonberg et Berg, ainsi que des écrivains comme Trakl, Musil, Kraus et Weininger. 
Avant de faire leurs performances, chacun apportait une grande importance à la théorisation. Cet art charnel et sensuel consistait à repousser les limites personnelles pour une meilleure connaissance de soi : faire émerger les zones refoulées. Dès lors, dépecer des animaux, se masturber, uriner, déféquer en public, verser son propre sang ou celui d'animaux sur d'autres corps faisant parti du "spectacle". 
Le mouvement ne perdura pas puisque chaque nouveau prétendant se voyait rejeté. D'ailleurs le trio se disputait régulièrement en raison de désaccord et d'une concurrence entre eux. La célébrité et la couverture médiatique n'atténuèrent pas les tensions, ceux-ci restant sous cette entité par des convictions similaires. A noter qu'un quatrième membre, un peu à part car très réservé et n'ayant fait essentiellement que des actions privées, était un peu à part, bien que proche du mouvement. Il se nommait Rudolf Schwarzkogler et se suicida en 1969.
Les divers entretiens auprès de personnalités éclectiques offrent une belle approche de ce mouvement extrême, cependant on regrette le si faible nombre d'illustrations, et aussi l'absence des descriptions de leurs "actions" les plus mémorables. Toutefois, ce manque n'enlève rien à l'importance de ce livre.


Mouvement artistique parmi les plus choquants (et des plus courts) du XXè, l'actionnisme viennois marqua durablement les esprits de l'époque, et  ne devrait pas laisser indifférent ceux qui le découvrent aujourd'hui. Un livre précieux au regard de l'analyse qu'en ont apporté les acteurs et les spectateurs, dans ces enquêtes par entretiens. Dérangeant et fascinant !














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