Auteur : Eric Frank Russell (ANG)
Titre : Guêpe
Editions Pocket
Parution : 1983 (VO, 1957)
Passée presque inaperçue en France, l’œuvre du britannique E.F. Russell mérite un coup de projecteur afin de le (re)découvrir. Sa première grande œuvre remonte à la fin des années 30, « Guerre aux invisibles » (1939), et ne bénéficia pas de l’arrivée des premières traductions des futurs classiques de la science-fiction, au milieu des années 50. Son roman fut rapidement éclipsé par les Asimov, Bradbury, Simak et consorts. Avec « Guêpe », l’auteur brosse un tableau peu reluisant de l’armée. Armée dans laquelle il occupa un poste à la R.A.F (Force Royale Aérienne) durant la seconde guerre mondiale.
En guerre depuis dix mois contre les extraterrestres Siriens, les Terriens optent pour l’infiltration de leur planète-mère pour les vaincre. Les Siriens sont douze fois plus nombreux, mais la ruse peut s’avérer une arme bien plus redoutable. Un haut fonctionnaire missionne un soldat, James Mowry, de devenir une guêpe, métaphoriquement parlant. En effet, une guêpe peut blesser ou tuer plusieurs personnes en semant le trouble dans une voiture par exemple, sans piquer. Elle perturbe, elle agace, elle irrite et peut habilement semer la zizanie dans une organisation. Ici l’armée.
James Mowry se caméléonise en Sirien. Les caractéristiques physiques sont similaires à l’être humain. Il se maquille pour avoir une peau violacée, et fait une intervention chirurgicale afin de se coller les oreilles. Quant aux jambes arquées, il les a déjà naturellement. La langue ne freinera pas non plus sa mission puisque notre guêpe a eu l’avantage de naître sur leur planète. Sur place, l’homme sera le seul Terrien à cent millions de km à la ronde et n’aura aucun contact.
Quelques heures après son arrivée, un message du Parti Libre Sirien sur une vitrine, allant à l’encontre de la guerre donne une idée à Mowry. Se trouvant par hasard à côté d’un major dans le train, il le file jusqu’à son domicile et l’élimine en annonçant le début d’une longue liste de meurtres. Il signe « Dirac Angestun Gesept » (nom du Parti Libre). Par la suite, il paie gracieusement deux tueurs professionnels pour abattre d’autres cibles. L’étau commence à se resserrer autour de la guêpe et il doit user de malice pour passer ou esquiver les contrôles d’identités tout azimut. Les agents secrets du Kaïtempi se font de plus en plus pressants…
Cette histoire aurait tout aussi bien pu se dérouler sur Terre. En dehors des caractéristiques physiques et du langage, on ne relève pas de différence notable. Les Siriens vivent dans des villes, ont des magasins, des hôtels, des voitures, des aéroports. Russell ne parle pas de coutumes et traditions locales. On peut lire « Guêpe » à deux niveaux. Premièrement au niveau de l’intrigue. Une classique et efficace course-poursuite proche du polar. Le second niveau apporte une réflexion plus profonde et grinçante sur l’armée. A commencer par le Kaïtempi qui fait référence au Kempetaï : la police militaire de l’armée impériale japonaise entre 1881 et 1945. Ces agents, aidés par la police locale, multiplient les contrôles d’identités, souvent sans queue ni tête, et ont toujours un coup de retard, laissant sous-entendre que c’est une belle bande de blaireaux. Quelques meurtres et la feinte de faire croire à une organisation rebelle puissante font voler en éclat le système : « Lorsque l’on combat par la plume, on utilise une stratégie qui peut être aussi meurtrière qu’un explosif puissant ». Russell critique le gouvernement qui passe sous silence telle ou telle discussion, alimentant les conversations des citoyens qui se demandent ce que cela cache ou de quoi il est coupable. Il met également en avant le concept de guerre qui n’est en aucun cas totale. Une minorité s’opposant au conflit existe pour diverses raisons : pacifique ; nombre de victimes élevé ; philosophique ; éthique ; religieux, etc.
Roman distrayant et entraînant, « Guêpe » ne se limite pas pour autant à de l’action pure en critiquant de manière acerbe et ironique les gouvernements et leur armée. Ce texte est à classer dans les bons bouquins qui se lisent d’une traite en nous faisant passer un agréable moment. N’est-ce pas là l’essentiel ?
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire