vendredi 12 juillet 2013

Descendre en marche - Jeff Noon



Auteur : Jeff Noon (ANG)
Titre : Descendre en marche
Editions La volte
Parution : 2012 (VO, 2002)


Adulé en Angleterre depuis son roman "Vurt" paru en 1993, Jeff Noon ne bénéficie hélas pas de la même ferveur dans nos contrées. Cependant, une poignée de fans attendent toujours avec une grande excitation la traduction d'un nouvel ouvrage du cerveau torturé et profondément génial de l'écrivain. Les adeptes des textes courts pourront découvrir son univers avec le curieux recueil aux nombreuses pépites qu'est "Pixel juice", où il laisse éclater son imagination débordante à travers des récits étranges, singuliers, voire expérimentaux. Pour les autres, il est préférable de commencer par le roman "Vurt", qui devrait rapidement vous rendre accro de par la puissance évocatrice de sa prose, son côté "trashonirique", le tout englobé dans une atmosphère hallucinante et jubilatoire.


Une augmentation significative du bruit conduit à la désagrégation du monde de l'information en Angleterre. Pour remédier à ce désastre, les miroirs doivent être "soignés" en rapportant les morceaux brisés afin de les reconstituer. Les malades les plus "chanceux" combattent leurs perceptions saturées, défaillantes, en ingérant un médicament, "La Lucidité". Au milieu de ce chaos, quatre individus égarés de la vie roulent à bord d'une voiture - elle aussi mourante - sans but précis à première vue. Parmi eux, Marlène Moore, une ancienne journaliste qui tient un journal intime, meurtrie par la disparition de sa fille de neuf ans, emportée par la maladie. Tupelo, une ado paumée qui adore jouer aux échecs, mais aussi le fort en gueule Peacock et enfin la très irritable Henderson. La folie gagne peu à peu de l'emprise sur le groupe, et qui sait ce qui les attend au bout du chemin...

Jeff Noon adore perturber son lecteur en brouillant les repères. Les mondes vurtuels, les hybridations en tout genre sont parties intégrantes de son oeuvre. Ici, les objets de communication sont comme nous l'avons vu malades : "Les antennes radio crépitaient de bruit" et "les machines faisaient [...] un chagrin électronique." Même les livres sont touchés, dans cette improbable et déroutante bibliothèque d'un musée où les lettres s'effacent au fur et à mesure de leur lecture : "Les mots que je venais de lire, ils avaient disparu du livre". L'histoire est proprement "détruite par l'acte de lecture". La surréalité de ce phénomène interpelle le lecteur en même temps que les personnages, victimes interloquées devant un fait insensé. On note aussi une fois de plus l'influence de Lewis Carroll, à travers les miroirs, ainsi qu'un clin d'oeil avec la joueuse d'échecs. Miroirs qui dévorent l'apparence des gens, comme le personnage de Kingsley, hanté par son fantôme dans sa maison. "Descendre en marche" demeure tout de même moins fou et débridé que ses autres romans, optant pour une tonalité sombre et triste, sur lequel plane la pesante et tragique mort de la fille de Marlène. Il n'en reste pas moins de qualité, et fortement recommandable.


Jeff Noon n'est décidément pas un auteur comme les autres. "Descendre en marche" ajoute une pierre de plus à son édifice, à mes yeux proprement fascinant. Il cultive les mots avec une magnificence et une originalité qui le rendent unique et inclassable. On trépigne déjà d'impatience de se précipiter sur son roman à paraître en fin d'année, toujours aux éditions La volte, qui se nomme "Needle in the Groove", en croisant les doigts pour qu'elles enchaînent avec la traduction du dernier livre en date de l'auteur, "Channel SK1N".
Pour votre santé, songez à la noonothérapie ! 


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