samedi 13 septembre 2014

Les résidents - Maurice Dantec







Auteur : Maurice Dantec
Titre : Les résidents
Parution : 2014 aux éditions Inculte
Réédition en poche : 2016 aux éditions Actes sud, coll. Babel noir


            Maurice Dantec avait laissé plusieurs lecteurs sur le carreau, dont votre humble serviteur, avec son roman Satellite sisters, aussi indigeste qu’hermétique. Les résidents, opus écrit en 2010, soit avant la « suite » de Babylon babies, s’inscrit assez logiquement comme successeur de Métacortex (ne serait-ce que par la présence du souterrain) tout en laissant entrevoir le fumeux processus cosmonarratif à la sauce rétro-futur qui nous avait fait perdre notre latin. Les résidents se positionne parmi les plus grandes œuvres de l’auteur, une météorite viscérale et intimiste poignante, avec des fulgurances linguistiques le plaçant à des années lumières au-delà de la plupart de ses « collègues ». Du Dantec comme on l’aime, quoi !

            Dans ce récit trinitaire, nous suivons le parcours de Sharon, une canadienne de 28 ans victime d’un viol collectif ; Novak, un immigré serbe réfugié en Amérique du Nord qui se transforme en tueur de masse ; Venus, kidnappée encore enfant par son géniteur pendant une dizaine d’années, violée elle-aussi, chosifiée-déshumanisée.
Un tableau d’une grande noirceur sous une plume cinglante et chirurgicale.

            Ces deux jeunes femmes - qui ne le sont plus depuis leur « accident » -  vont se reconstruire, d’abord au niveau de la chair, puis dans leur âme, en devenant des tueuses. Engagées avec le jeune serbe Novak, Sharon et Venus sont des armes-machines vivantes au service d’un plan mystérieux.

            Le corps tient une place centrale dans le roman. Corps amélioré, perfectionné, updaté, qui renvoie aux cyberpunks des années 80.  Corps-copie, corps-image, corps-miroir, corps-simulacre convoquant par exemple Philip K. Dick, Lewis Carroll ou Jean Baudrillard. L’ombre du cinéaste Cronenberg (adepte des modifications corporelles) plane également avec son visionnaire Videodrome : « Son corps dédoublé est une sorte de système d’enregistrement dont le pistolet automatique est le microphone ». La question du monde réel altéré aux résonances très dickiennes, « son cerveau s’emboîte peu à peu dans la réalité, c’est-à-dire dans cette illusion parfaitement contrôlée », prend place au plus profond de la narration. Il s’agit en effet de « créer l’illusion parfaite, celle où la réalité elle-même devient l’opérateur du simulacre ».

            La prose de Dantec tend de plus en plus vers le quantique (Max Planck), vers la Lumière (Dieu n’est-il pas la Lumière des lumières ?), l’importance des nombres, le langage-machine de William Burroughs, tout en poursuivant la distillation par petites touches de ses influences théologiques (les scolastiques Thomas d’Aquin, Jean Duns Scot ou Guillaume d’Ockham ne sont pas loin). Mais Dantec, c’est encore et toujours un écrivain rock’n roll comme il se plaît à le dire. Il n’est donc pas surprenant de voir surgir de-ci de-là les paroles de Depeche Mode, David Bowie, Nine Inch Nails ou Psychedelic Furs. Par ailleurs, la série télé X-Files est très présente en début d'ouvrage durant la séquestration de Venus (au passage, si quelqu’un a des nouvelles de David Duchovny, ce serait gentil de prévenir). Et au milieu de la multitude des théories du complot, vous découvrirez qui se cache véritablement derrière l’assassinat de JFK.
 L’auteur aime partager sa culture. Dans un monde où celle-ci s’efface peu à peu en lieu et place du consumérisme à outrance, on peut difficilement lui en faire un reproche.
Une remarque par ailleurs à l’attention de la bien-pensance française. Permettez-nous de citer René Guénon qui, étrangement, ne figure dans aucun programme scolaire : cette citation provient du fort recommandable « La crise du monde moderne », publié en 1927 :« Ne voit-on pas à chaque instant des gens qui veulent juger l’œuvre d’un homme d’après ce qu’ils savent de sa vie privée, comme s’il pouvait y avoir entre ces deux choses un rapport quelconque ? ». A nos yeux, Dantec fait parti des plus grands stylistes contemporains et, à ce titre, il est dommage qu’il soit dénigré ainsi par toute une frange d’intellectuels ou présumés tels. Gageons que le temps - ce bon vieux simulacre - le replacera tôt ou tard à sa juste valeur.


            Dantec signe un roman ample, étincelant, au style unique qui le distingue définitivement comme un écrivain inclassable-transgenre dans le paysage littéraire francophone. On attend déjà son prochain livre, qui sera peut-être en cristal-laser, ajoutant une autre pierre à son métaprogramme en devenir.





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